Drive est un petit bijou d’esthétisme sur un scénario bien mince, et c’est probablement là le tour de force de Nicolas Winding Refn.



L’objet est hypnotique,



on plonge au plus près du personnage d’entrée pour ne quasiment jamais le lâcher et dès la première scène, le spectateur est emporté, installé pour ce qui s’annonce une longue virée en bagnole aux côtés d’un pilote hors pair au regard impitoyable. La musique électro participe de l’envoûtement saisissant. La photographie développe un jeu des obscurs du noir profond au bleu nuit, alterné avec les couleurs vives et chaudes de la ville, tout ça sur le visage d’ange du blondinet imperturbable. Il transporte deux braqueurs et joue au chat et à la souris avec les patrouilles : cache-cache et poursuite. La séquence est menée sur un rythme idéal et s’emballe juste quand il faut : juste avant de terminer d’un coup dans le parking d’un stade où se répand soudain la foule du match de baseball qu’il suivait à la radio quelques instants plus tôt et dans laquelle il se fond immédiatement. Il est le calme dans la tempête, un homme parfaitement préparé, minutieux et sachant s’adapter aux circonstances. L’introduction est excellemment réussie en ce sens qu’on est immédiatement intrigué et irrémédiablement conquis par le héros.



Le scénario est bien mince,



léger devrai-je dire : Nicolas Winding Refn ne s’embarrasse d’aucun superflu et reste concentré sur son personnage. C’est d’ailleurs l’aspect principal de la narration : une étude de personnage. L’histoire est simple mais c’est justement cette simplicité qui permet d’exprimer au mieux les complexités de ce mécanicien taciturne. Cascadeur à ses heures, exerçant encore d’autres jobs à la limite de la loi, il s’ouvre à la confiance et à l’amour avant d’être rattrapé par son quotidien. Une première rencontre, courte, avec sa voisine. Une seconde, très vite, et le voilà chez elle pour un dialogue qui se restreint à l’essentiel : elle a un enfant et un mari en prison, il a du travail. Elle est mignonne, il laisse apparaître son premier sourire. Implacablement, l’intrigue se met en place. Il conduit, c’est son boulot, et son patron au garage fréquente des gars pas très recommandables. Il tombe amoureux et il ferait tout pour elle. Jusqu’à conduire lors d’un braquage pour que son mari sorti de prison paye une dette.



Les enjeux sont terribles, insupportables. Insoutenables.



Nous tous, cœurs purs que nous sommes, ferions de même, rien ne peut être plus héroïque ! Le piège se referme sur le malheureux, tout aussi implacable que les rudesses de la vie. Le bonheur n’existe pas. Seuls comptes les petits arrangements, la prudence et la discrétion. Trop d’honneur tue. Tout autant que l’avidité. Etc… On trouvera de nombreuses morales toutes plus belles les unes que les autres, toutes aussi dénuées de sens qu’elles sont pleines de trop bons sentiments confrontés aux bassesses de ce monde et aux atrocités qui les accompagnent. Mais l’étude de personnage est là : un homme entier, un peu naïf mais beau et romantique. Un chevalier de la route prêt à mourir pour une inaccessible flamme. Un peu niais si l’on y regarde de près.


Heureusement, il y a la forme.



Graphiquement le film est un bijou



de bout en bout. La photographie y est splendide. Newton Thomas Sigel filme les corps et les visages de près avec beaucoup de douceur. Les couleurs sont vives et chatoyantes : les ors profond et le sang rouge poisseux. Les nuits plaquées, sombres, noires, contrastent avec la lumière sale et poussiéreuse de jours aveuglants et lourds. Les décors disent toujours quelque chose des personnages qu’ils abritent : le cocon d’appartement feutré où le personnage se protège, le vieux garage crasseux mais riche et chaleureux de son patron, la pizzeria rutilante de mauvais goût, carrelage blanc et rouge vif, des mafieux juifs. Aucun élément n’est innocent. La forme rejoint et nourrit le fond. Le montage parfait renforce cette impression. Tout s’enchaîne facilement, les imbrications sont fluides et évidentes. La bande-son encore y participe, faite de longues plages de silence sur de nombreuses séquences aux dialogues rares mais essentiels, toujours, et de moments intenses soulignés de musiques electros aux rythmes adaptés au récit. La séquence de l’ascenseur est la quintessence du film : tout y est réuni, amour et violence, tendresse et sauvagerie, rêve de coton et sordide réalité. Un ralenti sublime, une musique qui transforme le geste en un moment de grâce suspendu, long baiser. Soudain, la violence barbare, un déchaînement de force sauvage là, sans un mot, jusqu’à l’horreur. L’or de cet ascenseur irréel et le vert glauque du parking d’où elle le regarde, la porte se referme. Une scène majestueuse de délicatesse et de brutale réalité.



Un équilibre du contraste.



Ryan Gosling interprète tout en mesure ce pilote entier et droit. Il apporte avec sa belle gueule et son innocence angélique tout le contraste nécessaire à ce taiseux sous carapace qui a le courage de beaucoup de choses mais pas celui de dire au revoir ni de se déclarer. La pudeur et le sang. Autour de lui, Carey Mulligan d’abord, dans un registre plus souriant, n’hérite pas du rôle le plus épais, au moins est-il le plus en vue. Albert Brooks, Bryan Cranston et Ron Perlman incarnent les personnages secondaires et pourtant, ils ont obtenu de pouvoir donner plus de profondeur et de relief aux vils hommes qu’ils interprètent.


Un objet graphique rare donc.
Décevant au vu des maigres enjeux scénaristiques qui se contentent d’observer présentation rapide puis déconstruction du personnage jusqu’à sa mort symbolique, mais d’une remarquable fluidité narrative. Un film très stylisé au scénario mécanique mais dont la forme exprime l’état d’être et d’esprit du héros. Une perle de popcorn movie d’auteur, sans superhéros descendu du ciel ni fantastique pouvoir inexpliqué, mais brillante d’action et de passion, de sang et de lumière, un vrai spectacle de couleurs, de calme, de sensualité et de fureur !


Nicolas Winding Refn, tel un orfèvre du cinéma, sait manipuler l’art du mouvement.


      Matthieu Marsan-Bacheré 

Créée

le 11 janv. 2015

Critique lue 298 fois

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