Un soir, l’âme du vin chantait dans les bouteilles :
« Homme, vers toi je pousse, ô cher déshérité,
Sous ma prison de verre et mes cires vermeilles,
Un chant plein de lumière et de fraternité ! […]


Car j’éprouve une joie immense quand je tombe
Dans le gosier d’un homme usé par ses travaux,
Et sa chaude poitrine est une douce tombe
Où je me plais bien mieux que dans mes froids caveaux. […] »
-Charles Baudelaire, L'âme du vin, Les Fleurs du Mal, 1857.


"Druk", le film alcoolisé de Thomas Vinterberg est costaud à digérer.


Ce long métrage porté par un quatuor vivant de personnalité, fleurte avec une dose de bonne humeur et cherche ainsi à user de ses charmes pour soumettre le spectateur au plaisir des boissons alcoolisées. Ces quatre professeurs décident alors de vivre au rythme de l’alcool, leur décision se trouve légitime car elle s’oriente vers une étude scientifique concernant les effets de l’alcool, d’abord positifs puis négatifs. On y retrouve Mads Mikkelsen mis en valeur par son puissant jeu d’acteur ainsi que son rôle plus marqué d’un professeur d’histoire peu confiant et hésitant (Martin), toutefois les trois autres amis restent très convaincants et ne se laissent pas manger la réplique, on note alors Thomas Bo Larsen (Tommy), Lars ranthe (Peter) et Magnus Millang (Nikolaj).


La réalisation dans l’ensemble est détaillée, proche des expressions faciales touchant quasiment à un naturalisme saisissant. L’alchimie entre la mise en scène de Thomas Vitenberg et le jeu de Mads Mikkelsen est notamment figurative dans la première scène de repas où l’on y découvre un personnage abstème bien à l’aise avec son eau gazeuse tandis que ses collègues se délectent de champagne et de bon vin, la caméra tend ainsi à sublimer ces bulles pétillantes, cette couleur pourpre délicate afin de susciter une envie instinctive chez le spectateur comme chez Martin. Cette convoitise est effectivement mise en image avec la réalisation et ce jeu d’acteur remarquable dévoilant un visage expressif à souhait qui laisse paraitre des grimaces très légères mais pourtant présentes, dignes d’une grande performance technique et physique.


Cette efficacité du réalisateur peut avoir néanmoins quelques faiblesses, en toute dépendance du spectateur qui regarde, on peut y constater un passage d’images d’archives ou encore un cours peu conventionnel qui peuvent transmettre un détachement avec le visuel précédemment introduit ou encore le côté réaliste du long métrage. Dans l’exercice musical, on assiste à plusieurs bons passages au piano, en revanche l’hégémonie d’une musique se fait ressentir et a su faire place intégrante dans la mémoire des spectateurs, il s’agit du morceau « What a Life » présent dans la Bande-annonce dont je n’avais heureusement rien vu. Le réalisateur comme à son habitude, décortique les psychologies et les relations humaines tant par des dialogues pertinents que des silences signifiants, s'autorisant même à tenter d'émouvoir le spectateur et lui faire briller les yeux. De plus, le film s'ancre dans une véritable ode à la réjouissance, une bouffée de libération qui fait plaisir avec des contacts chaleureux et festifs d'une jeunesse puis d'adultes qui y trouvent un épanouissement, dans une époque maintenant révolue où l'on avait encore le droit de s'enlacer sans jamais s'en lasser.


Un message « bourré » d’incitations douteuses ?


En voyant ce long métrage, on se demande l’impact que peut avoir ce film sur la consommation d’alcool, et il peut se révéler malheureusement comme un problème majeur. En effet, on surprend une incitation possiblement involontaire, mais réelle ! L'alcool au centre du film est exploité comme la source de réussite, la quintessence de la maîtrise (à un certain niveau). On peut reprocher au film son incitation à la boisson, en dehors de "l'allumage" qu'il ne faut pas atteindre, sinon c'est la belle vie alcoolisée tant qu'on ne craque pas vers la surconsommation. Effectivement, l'incitation est bel et bien présente, on insiste sur sa force, on sublime les dégustations, on évoque l'idée que le monde a connu des grands hommes qui même sous l'emprise d'alcool ont effectué des grandes choses. J'avais l'habitude des films qui donnent faim... c'est pourtant le premier film qui donne une envie de faire les 0,5g/l par jour mais bon, boire ou conduire, il faut choisir... Avec ce film j’ai l’impression que Vintenberg a voulu réaliser une expérience grandeur nature en la répercutant sur l’audience, au départ on se maitrise mais au final on se dégrade inéluctablement alors que l’on connait les conséquences fâcheuses sur le corps. "Le vin est un traitre, d’abord un ami puis un ennemi" (Thomas Fuller, Gnomologia, 1732).


[…] Oui, ces gens harcelés de chagrins de ménage,
Moulus par le travail et tourmentés par l'âge,
Éreintés et pliant sous un tas de débris, […]


C'est ainsi qu'à travers l'Humanité frivole
Le vin roule de l'or, éblouissant Pactole ;
Par le gosier de l'homme il chante ses exploits
Et règne par ses dons ainsi que les vrais rois.


Pour noyer la rancœur et bercer l'indolence
De tous ces vieux maudits qui meurent en silence,
Dieu, touché de remords, avait fait le sommeil ;
L'Homme ajouta le Vin, fils sacré du Soleil !
-Charles Baudelaire, Le vin des chiffonniers.

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le 21 oct. 2020

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Cubick

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