J'hallucine.
En sortant de la séance, je pensais enfoncer des portes ouvertes en émettant rapidement mon jugement sur ce film médiocre et politiquement néfaste, oui, je pensais pouvoir m’en tirer comme ça, économiser mon énergie. Mais il a fallu constater que ce jugement n’était pas partagé. Pire, que ce film était un succès critique. Alors il a été nécessaire d’agir, et voici, pour information, un autre point de vue.


Drunk se veut anti-conformiste. Boire au travail, surtout quand on est prof, voilà de quoi mettre mal à l’aise. Allier une démarche prétendument scientifique et de l’ivrognerie, voilà de quoi étonner.
Cependant Drunk est l’un des films les plus conformistes que j’aie jamais vus. Exprimant le point de vue des dominants que l’on est ou que l’on aspire à être, ce film imprégné de misogynie ordinaire est téléphoné de bout en bout et formellement dépourvu de tout intérêt. Il fait l’apologie de l’alcool, qui est la chose la mieux partagée du monde.


Rien à reprocher dans la forme : ça glisse, les acteurs jouent comme des acteurs, le montage est imperceptible, non notable. (Ayant pourtant déjà vu du cinéma, je ne peux m’empêcher de penser, en creux, à tout ce que ça pourrait être d’autre : un montage juteux, malicieux, signifiant ; un emploi de la musique calculé, pas seulement comme une grosse cuiller à soupe de sauce soja pour amplifier des émotions qu’on n’a même pas ; des images belles, des compositions soignées, des décors qui restent, des cadrages qui font réfléchir.) C’est professionnel. Tant mieux, je n’en attendais pas moins, j’ai quand même dépensé 12€.


Le scénario, très professionnel aussi. Chaque personnage a sa ligne de progression, sa petite histoire, le cahier des charges a bien été coché à toutes les lignes. Il y a les deux célib’ qui parviennent à donner du courage à des enfants de substitution, l’un à un gosse, l’autre à un pubère, et puis il y a les deux maqués qui galèrent avec les bonnes femmes et les gamins, l’un dans la version quadra avec des bambins et qui nique encore avec sa meuf, l’autre dans la version quinqua avec des ados et qui nique plus avec sa meuf. Il y en a vraiment pour tous les goûts (de mâles blancs hétérosexuels).
Le discours, en plus de ça, est tellement balancé, à la limite du métaphysique : est-ce que l’alcool, c’est bien ? Première partie : oui ; deuxième partie : non ; troisième partie : non mais oui ; conclusion : allons boire un verre pour y réfléchir.


Le résultat : un peu plus chiadé qu’un téléfilm, avec Mads Mikkelsen à la place de Daniel Auteuil. Politiquement, aussi progressiste qu’un reportage TF1. Il faut croire que ça fait du bien, cet entre-couilles, “parce qu’aujourd’hui, on n’a plus rien le droit de dire, merde”. Pour les nanas, c'est bon aussi : “parce que je comprends, c’est vrai que ça m’arrive d’être un peu chiante, mais il fout rien à la maison”. Ceux qui se sentaient légèrement coupables d’avoir pris goût à attraper quotidiennement une bière dans le frigo sont absous de leurs péchés.


Le problème de ce conformisme pseudo anti-conformiste, c’est le manque total d’imagination qui en résulte.
Quel ennui de savoir constamment ce qui va se passer au début d’une scène, puis de devoir attendre que la scène se termine.
Quel ennui d’être en cours avec ce prof d’histoire censé envoyer la pâtée, on le comprend grâce au contre-champ dans lequel les élèves ont des étoiles dans les yeux, mais qui ne fait pourtant que déblatérer des “paradoxes” superficiels, vus et revus.
Quel ennui de regarder une pseudo expérience scientifique sans aucune conclusion scientifique.
Quel ennui de voir ce couple ennuyé, ce silence morne, ces bruits de mastication de poisson blanc, cette absence de joie.
Quel ennui de voir le personnage principal avec une nana de 10 ans de moins de lui, comme si c'était la routine.
Quel ennui de voir des gamins sans identité, qui sont juste là pour faire chier et ne deviendront intéressants qu'à l'âge où ils pourront enfin consommer de l'alcool.
Quel ennui, cette rédemption avec le texto de happy end.
Quel ennui, cette caution bienpensante (C'était la mise en garde du gouvernement contre les méfaits de l'alcool) avec la mort attendue d'un des personnages.
Quel ennui, ces cuites qui sont les mêmes pour tout le monde, où l'on monte sur les bars en fin de soirée avant de se faire jeter et d'aller marcher au milieu de la route.
Quel ennui, cette illustration unilatérale qu'on serait soi disant mieux avec de l'alcool.
Quel ennui, ces chants patriotiques sur chants patriotiques, sans aucun recul.
Quel ennui de se voir expliquer que tout cela est “réaliste”.


Cette critique a été écrite à 0,5g d’alcool dans le sang.

Philistine
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le 26 oct. 2020

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Philistine

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