Nous y suivons quatre amis et professeurs de lycée qui ont autour de la quarantaine. Martin (Mad Mikkelsen encore génial et dont la danse finale vous fera rêver), Tommy, Peter et Nikolaj n’ont plus d’envie, plus de désir pour leur métier et leur entourage. Ils sont mornes et peu investis. Nous les découvrons dans leur environnement de travail, en train d’essayer de transmettre leur savoir à une jeunesse débordante d’énergie. Le film s’ouvre d’ailleurs par cela : l’énergie. Des jeunes courent en buvant, dansent en buvant, attachent un contrôleur en buvant. Ils sont heureux et insouciants. La mise en scène est hachée, au plus près des corps. Elle est brouillonne comme leur énergie et accompagnée par la musique What a Life de Scarlet Pleasure. Violent contraste quand nous découvrons les quatre héros sans dynamisme ni désir. Ils sont tellement sages que la mise en scène en devient didactique. Après une rapide présentation de leur état et leur matière scolaire, le récit décide d’aborder le sujet de l’ouverture vers l’autre et à soi. Il offre une autre masculinité, une qui accepte ses faiblesses et ses dégoûts. Leur vie, pourtant si parfaite sur le papier, leur échappe. Eux, les hommes, ils ne contrôlent rien. En pleurant et livrant ses blessures, Martin accepte que l’armure de la perfection s’effrite et ses amis s’y reconnaissent — sans prendre le risque d’aller jusqu’à en pleurer. Alors se pose la question du film : « est-il raisonnable d’être sage ? » Si le long-métrage se prête au jeu du film à thèse (autour de l’alcool donc), il s’en éloigne rapidement pour montrer des hommes qui recherchent leur insouciance, l’énergie de leur début. Qui se cherchent eux, perdus dans une société et une vie qui ne leur conviennent pas. L’alcool leur offre la promesse d’être plus ouverts aux autres, d’être plus courageux. Ce courage influe alors sur la mise en scène qui devient dynamique et efficace. Elle colle au plus près des héros qui, en expérimentant, atteignent des sommets — pendant le match de foot des enfants où la musique religieuse vient mettre en exergue les talents d’entraîneur de Tommy — mais également les bas-fonds — montrant que le talent de Thomas Vinterberg vient de ses changements brusques de mise en scène.


L’alcool qui accompagne et guide la vie des protagonistes est omniprésent dans toutes les scènes du film, que ce soit un verre de vin discret sur la table d’un repas de famille, dans la bouteille d’eau d’un enseignant ou dans les cours d’histoire de Martin. Dans une séquence hallucinante, le cinéaste utilise des images d’archives pour exposer des hommes politiques en conférence publique. Ils sont saouls. Il n’y a aucun doute possible. L’alcool s’immisce dans nos sociétés, dans l’Histoire, et touche toutes les strates. Il base son récit et expérimentation sur la théorie d’un psychologue norvégien, Finn Skarderud, selon lequel il manquerait 0,5 g/l dans le sang à l’être humain. De manière ingénieuse, la mise en scène reprend le parti pris d’écrire noir sur blanc l’expérimentation à laquelle se prêtent les quatre professeurs. Ces cartons sont un contrat avec le spectateur qui lit — et voit — ce que les protagonistes vivent et ressentent. Le scénario célèbre également l’amitié, de l’importance dans nos vies de personnes qui nous sont proches et avec qui nous pouvons communiquer. Tout au long du récit, les comparses peuvent compter l’un sur l’autre — jusqu’au moment où malheureusement l’expérimentation va trop loin et que le groupe se sépare (momentanément). S’accepter en sujet qui a failli, qui n’est pas parfait, rend plus fort et permet de s’aimer et d’aimer les autres, voilà la belle leçon que nous communique Thomas Vinterberg.


Si parfois le film est un peu scolaire dans son récit — qui par moment emprunte des chemins convenus — Drunk est efficace et nécessaire dans notre société où les femmes et les hommes sont bridés un peu plus chaque jour — et il ne s’agit tristement pas d’une métaphore. Il offre une dose de sensations fortes grâce à sa mise en scène et à l’interprétation des comédiens. À soutenir, le long-métrage fait partie de la sélection 2020 de Cannes. Une raison de plus de le découvrir.


Critique sur Phantasmagory.

Pierrotlfou
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le 23 oct. 2020

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