En chute libre

Oscar du meilleur film étranger cette année et figurant parmi les premiers films à ressortir en France après 5 mois de fermeture de salle, "Drunk" est un film de son temps, une oeuvre qui "aborde le confinement avant le confinement" (le film a été tourné il y a plus d'un an) selon son auteur, Thomas Vinterberg, papa de "Festen", la claque du festival de Cannes en 1998.

Traitant, d'après son metteur en scène, plus du lâcher prise que de la consommation d'alcool, "Drunk" s'organise en trois temps (expérience collective, individuelle puis jusqu'au boutiste) pour mieux livrer une oeuvre essentielle sur la désinhibition sociale et intellectuelle.

4 amis profs tentent de suivre les préceptes d'un philosophe scandinave pour atteindre le meilleur de leurs capacités aussi bien sur le plan humain que sur celui de l'esprit. Loin d'être une apologie de l'alcoolisation comme certains critiques ont pu le laisser entendre (une facette glaçante de cette expérience est clairement mise en évidence), le film de Thomas Vinterberg est une plongée rafraîchissante dans la renaissance de trois hommes, englués dans une vie qui les tourmente et les écrase peu à peu. Ce qui est admirable dans "Drunk", c'est sa mise en scène qui épouse l'état d'esprit de ses protagonistes, comme si la caméra elle-même avait été baignée dans l'alcool et s'était retrouvé ivre en parallèle du taux de consommation des personnages, régulièrement rappelé à l'écran. On bascule la tête vers une lumière apaisante et enivrante autant que l'on sombre dans un trou noir sans fond, les images qui se succèdent devant nous sont d'une beauté sans égale et l'objectif même de la caméra semble partager le ressenti sensoriel de ces quatre amis prêts à tout pour réussir leur pari.

Profondément optimiste dans sa joie de vivre à l'écran, "Drunk" pose tout de même un regard acide sur le modèle petit bourgeois scandinave. Mettant de côté leurs espérances d'antan (voir la transition entre la scène de liesse en ouverture et le quotidien déprimant de Mads Mikkelsen, toujours excellent d'ailleurs), ces anciens rêveurs sont cloîtrés dans un quotidien sombre et sans issue. Là encore la caméra de Vinterberg nous plonge dans le noir pour mieux nous en sortir une fois que l'expérience est lancée. L'objet de ce fameux lâcher prise (ici, l'alcool mais, encore une fois, il ne s'agit pas de la thématique du film mais plutôt de la représentation du lien qui unit les personnages à leurs aspirations de jeunesse) devient alors la porte de sortie à toutes les crises et ce, jusqu'à un final éblouissant qui fout la banane jusqu'aux oreilles.

Drôle et émouvant, parfois terrifiant et empli de tristesse, "Drunk" est une tranche de vie qui trouve toute sa place en cette période où les gens ont éprouvé l'inhibition pendant plus d'une année.