Depuis le début de l’année, j’attendais avec impatience la réouverture des salles de cinéma. A l’annonce de leurs réouvertures, j’attendais la date de sortie de Dune. A sa sortie, j’ai attendu une semaine avant de me rendre à la séance, en privilégiant des films susceptibles d’avoir une courte carrière en salles : Blue Bayou et La proie de l’ombre. Durant cette attente, une déluge d’avis dithyrambiques sur l'œuvre de Denis Villeneuve s'abattait sur moi, telle une pincée d’épices sur des crevettes à la crème fraîche. L’attente fut longue mais le plaisir ne fut pas vraiment à la hauteur de mes attentes.


Dune de David Lynch


Le souvenir de la version de David Lynch ne cesse de me hanter durant la séance. A sa sortie en 1984, je n’étais qu’un enfant. Ma mère me déposait au cinéma chaque vendredi soir, en réglant deux séances pour être libérée pour la soirée de ses obligations parentales. De ce fait, j’avais accès aux films de mon choix, tant l’ouvreuse était aussi peu regardante que ma mère sur le choix de mes films : L’emprise, Blade Runner, The Thing, Amadeus, Poltergeist, Platoon, Robocop, Aliens, La mouche, Full Metal Jacket, etc.. qui ne sont pas vraiment adaptés à un très jeune public, malgré leurs indéniables qualités cinématographiques.


La découverte de Dune fut inoubliable. Elle m’a marqué de par son écœurant Baron, la présence de Sting, les vers, les yeux bleus des Fremen, les prêtresses au large front vêtues de noires et son désert dans un univers sentant la sueur et la peur. Durant le confinement, j’en ai profité pour revoir certaines œuvres dont celle-ci. Ce fût un choc. Parfois, il est préférable de ne pas replonger dans le cinéma de son enfance. L'œuvre a indéniablement vieillie. Ses effets spéciaux étaient déjà désuets en son temps, surtout en comparaison de 2001, L’odyssée de l’espace et Star Wars. 40 ans plus tard, il ne reste plus que le fantasme d’une œuvre qui s'annonçait grandiose, que le temps a érodé comme nos corps au fil des années qui défilent inexorablement jusqu’au clap final.


Par acquis de conscience cinéphilique, je me suis aussi plongé dans le Jodorowsky's Dune. Sa vision de son Dune est intéressante, comme les storyboard de Moebius. L'œuvre était prometteuse mais ne restera qu’à l’état de fantasme. On ne saura jamais si la version d’Alejandro Jodorowsky pouvait être à la hauteur des attentes des amateurs de science-fiction.


Après le film et le documentaire, la lecture de l'œuvre de Frank Herbert aurait peut-être été judicieuse. Mais les six volumes du Cycle des Robots d’Isaac Asimov accaparaient mon temps, puis la vie reprit un cours presque normal. Il ne me restait plus qu’à attendre une éventuelle sortie du Dune de Denis Villeneuve, un de mes réalisateurs actuels préférés, en espérant que cela soit sur grand écran et non en streaming.


Dune : Première partie


Il est temps de se plonger dans la version de Denis Villeneuve, d’en découvrir sa vision et en ressortir conquis comme lors de Blade Runner 2049, au sujet duquel, j’étais des plus sceptique tant Blade Runner est un de mes films préférés.


Après des paroles énigmatiques, le titre s’affiche à l’écran “Dune : Première partie”. Denis Villeneuve a le luxe de pouvoir prendre le temps pour raconter l'œuvre de Frank Herbert, contrairement à David Lynch. Un temps pour présenter les personnages, l’univers et les différents enjeux. Cela doit-être appréciable quand on les découvre pour la première fois, un plaisir qui ne s’offre pas à moi, prisonnier du souvenir de la version de 1984. C’est comme un fantôme qui me hante, ne me laissant pas de répit, en me soufflant au creux de l’oreille le sort qui attend Leto Atréides (Oscar Isaac), la rencontre de la grande prêtresse (Charlotte Rampling) avec la souffrance qui l’accompagne, l’apparition du baron (Stellan Skarsgård), l’errance dans le désert et en voir surgir les vers. Face aux images qui défilent et le temps qui s’écoulent lentement, je suis dans l’attente de ces événements, au lieu de profiter du spectacle. Cette posture est peut-être due au fait d’une absence d’émotions typique du cinéma de Denis Villeneuve, qui trouve ses limites dans ce spectacle de grande ampleur dont le souffle épique ne se fait pas ressentir.


La présence de Timothée Chalamet dans le rôle de Paul Atréides ne me permet pas, non plus, de me plonger dans cette aventure. Il est si frêle, au point d’être ennuyé par son physique de dépressif anorexique. Il fait pâle figure face à Oscar Isaac. Il est dans l’ombre de son père, dont l’héritage semble trop lourd à porter sur ses délicates épaules. Il erre dans l’immensité de leur palais, à la recherche d’une légitimité que sa discrétion et physique ne semblent pas pouvoir lui offrir. Il est tourmenté par ses rêves où apparaît une Fremen, qui a les traits de Zendaya. Des rêves qui ressemblent à des publicités pour un parfum, lui conférant un aspect superficiel où l’apparition du logo Chanel sur les dunes désertiques ne serait pas surprenante. Cela me rappelle les sombres heures de Liv Tyler dans la trilogie du Seigneur des Anneaux dont la présence est anecdotique, alors que lors de la promotion, elle était omniprésente.


La mise en scène de Denis Villeneuve est clinique. Son perfectionnisme est aussi froid qu’impressionnant, que ce soit ses plans, la lumière ou la photographie. C’est son style, une froideur susceptible de créer une distance avec le spectateur, de le laisser de marbre face à une technicité dénuée de chaleurs avec ses tons sombres, comme l’univers qu’il dépeint. Une émotion qui va provenir de la musique de Hans Zimmer. Elle est virevoltante, percutante, envahissante puis assourdissante. Contrairement aux œuvres précédentes de Denis Villeneuve, je ne parviens pas à me plonger dans son Dune. Il n’y a pas de scènes, de moments forts ou de plans qui marquent mon esprit. Je me sens détaché, comme absent. Les images défilent, sans qu’un semblant d’émotions ne se fasse ressentir. Je connais les évènements. Je les attends. Je ne les vis pas.


Mon avis sur Timothée Chalamet va évoluer. Son rôle le prédisposait à se montrer en apparence fragile. Il va prendre une surprenante dimension. Les évènements vont le pousser à se dépasser aux côtés de sa mère Rebecca Ferguson. Une fuite dans le désert qui s’étire, suite à la chute de la maison Atréides. On est passé de la fureur des combats et explosions, au calme des dunes. D’un danger à un autre. De la folie des hommes à un peuple qui tente de survivre sur ses propres terres.


Notre société


Dune parle de notre monde. Le roman de science-fiction de Frank Herbert date de 1965. Depuis, notre société a évolué d’un point de vue technologique mais pas humainement. Il est facile de faire des parallèles entre l’épice et le pétrole, Arrakis est le continent africain, les Atréides sont les occidentaux avec ses références à la tauromachie et les cornemuses qui les accompagnent, la religion avec l’arrivée de l’élu, le prophète, issu du métissage qui est censé sauver le monde de l’emprise des puissants qui sont représentés par la Maison Harkonnen, des imberbes corpulents à la différence de leurs adversaires les Atréides athlétiques et barbus. C’est très manichéen, même si on trouve des exceptions au sein de chacune des maisons, comme Piter de Vries (David Dastmalchian) ou Thufir Hawat (Stephen McKinley Henderson). L’ordre du Bene Gesserit composé de femmes voilées, vêtues de noires, œuvrant dans l’ombre des hommes car derrière chaque grand homme se cache une femme. On peut dérouler longuement le fil d’un récit se nourrissant de notre monde. Elle permet de constater que notre société n’est pas différente de celle du siècle précédent, ce sont les manières d’agir qui ont pris une autre forme. Le continent africain n’est plus colonisé, du moins d’un point de vue militaire. Les grandes puissances économiques mondiales se sont implantées sur leurs terres pour s’enrichir de leurs richesses. La planète Arrakis est la seule planète générant de l’épice. La Maison qui possède cette planète, possède aussi le pouvoir. Un pouvoir que la Maison Harkonnen convoite, sous l’influence d’un empereur restant en coulisses, tel les prêtresses.


On ne peut que penser à Star Wars, plus particulièrement à Darth Vader et l’Empereur. Le premier sous les traits du Baron dont la première apparition fait penser à celle où il retire son casque, seul au milieu de la fumée. Un baron dont on préfère celui de David Lynch, sous les traits de Kenneth McMillan, plus malsain, sale et purulent. Le second reste dans l’ombre, on ne fait que l’évoquer. Il est comme un marionnettiste, tirant les ficelles, en restant derrière le rideau.


Influences


Dune est une des œuvres qui ont influencé Star Wars, comme Game of Thrones avec ces personnages semblant anecdotiques, comme Chain (Zendaya), Stilgar (Javier Bardem) où Glossu Rabban (Dave Bautista), mais qui ont leurs importances dans le déroulement des événements, en attendant de prendre de l’ampleur dans la seconde partie. Comme dans la série citée précédemment, les personnages ont un rôle à jouer, au détriment de leurs vies. En dehors de Paul Atréides, on s’attend à les voir tous disparaître, tel Gurney Halleck (Josh Brolin), dont on s’interroge sur son sort. La mort qui les frappe, aurait dû avoir un impact émotionnel. Un impact qui ne se fait pas ressentir, comme face à celle de Duncan Idaho (Jason Momoa), d’un classicisme redondant. On peut aussi s’interroger sur l’armure invisible qui semble visuellement d’un autre temps, proche de celle de David Lynch. Un hommage appuyé ou une incapacité à nous offrir un effet visuel plus en adéquation avec la somptuosité des décors et costumes.


Enfin bref…


Dune est une déception. Denis Villeneuve livre une œuvre appliquée, trop scolaire qui manque d’émotions et de relief. Mon attente était peut-être trop grande, ainsi que l’omniprésence de la version de David Lynch dans mon esprit pour apprécier le spectacle, peut-être…


J’envie les personnes qui en sortent enthousiastes, ravis d’avoir vécu un moment de plaisir durant la séance. J’ose croire que ce sera le cas lors de la seconde partie, avec une attente moins grande. Une seconde partie sous réserve de bénéfices au box-office, en espérant que le public continue à se rendre en salles pour découvrir la suite des aventures du jeune Paul Atréides.

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le 25 sept. 2021

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Laurent Doe

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