Par quoi ça commence, le désamour, la dérive des sentiments ? Sous quels vents, soudain, un foyer uni se met-il à chanceler ? C'est à ces questions que semble vouloir répondre le réalisateur québécois Michael Rowe avec ce film.


Dans une petite ville de province, il campe une modeste famille : David (Paul Doucet), sa femme russe Maya (la toujours excellente Suzanne Clément) et leurs deux fils. Il se crève à la tâche dans une maison de retraite pour faire bouillir la marmite tandis que la jeune femme passe ses journées sur le canapé à jouer sur son téléphone portable. La mise en scène sobre, la terne lumière des décors rendent parfaitement la vibration réelle du morne quotidien, le manque d'argent, les corps qui ne se désirent plus.


Dès la première scène, il est question de son insatisfaction à elle, de son désir qui s'étiole : sexuellement, entre eux, rien ne va plus et cette frustration va effectuer son lent travail de sape des fondations du couple. Ils parlent peu et mal, elle se plaint, il se défend, elle se met à hurler, il s'allonge dans un silence pesant : Early winter brosse un portrait de couple en crise d'un réalisme fou, sans jamais tomber dans un manichéisme de bas étage : le spectateur peut ressentir de l'empathie pour l'un comme pour l'autre à différents moments et comprendre les motifs de leurs comportements en s'identifiant à leurs réactions (très bien senties selon la différence des sexes, en revanche).


Un vent glacial souffle sur cet amour et instaure une véritable ère du soupçon : que fait-elle sur son téléphone en pleine nuit ? Qui voit-elle pendant la journée ? Pourquoi s'emporte-t-elle soudain lorsqu'il propose de l'accompagner à un salon où elle tenait visiblement à aller seule ? L'atmosphère entre eux est électrique et est superbement servie par l'interprétation exemplaire des deux acteurs : complètement fondus dans leur personnage, ils rendent tous deux avec pudeur et sans dramatisation excessive, le lent délitement du sentiment, la colère, la culpabilité et le désir, au fond, de sauver ce que l'on a construit.


La scène du retour de David après sa fuite de nuit, quand il constate l'adultère, est d'une puissance incroyable. La caméra qui se fixe sur les corps : elle qui l'enlace, qui se tend vers lui ; lui complètement hébété, congelé, sous le choc, incapable de prononcer un mot. Et pourtant, combien il y a encore d'amour dans ces quelques minutes de silence entre eux...


Le cinéma québécois ne brille jamais autant que lorsqu'il dépeint des problématiques de société en leur insufflant une intensité dramatique et existentielle foudroyante. J'ai bien entendu pensé, avec ce cadre médicalisé dans lequel évolue le personnage principal, ce constant voisinage du deuil, ces mourants accompagnés aux portes du néant, au non moins superbe film de Denys Arcand, Les invasions barbares.


Force est d'admettre qu'il est bien quelques longueurs dans ce film, des moments où il ne se passe pas grand chose, c'est vrai. Mais ne serait-ce que pour la brillance de son interprétation, la qualité de sa mise en scène, et la peinture très pertinente des tempêtes du couple occidental, Early Winter vaut pleinement le détour et mérite une bien meilleure moyenne que celle - incompréhensible - qu'il affiche ici

BrunePlatine
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le 23 nov. 2016

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