Tu es mon miroir, je suis ton ombre. Difficile est la dualité du moi-même. Et avec Enemy, film au contour patibulaire, Denis Villeneuve décide alors de nous insérer dans l’esprit torturé d’un homme en proie au doute identitaire. Comme une sorte de puzzle grandeur nature qui placerait avec minutie ses indices au gré de son récit, Enemy narre la petite histoire d’Adam, un professeur universitaire batifolant avec une belle blonde, Mary. Suivant avec plus ou moins de talent les traces de bizarreries dignes d’un Polanski (Repulsion ou Rosemary’s baby), le personnage d’Enemy va se rendre compte qu’un acteur de seconde zone lui ressemble trait pour trait. Une sorte de double physique. Son « double », nommé Anthony, vit avec sa femme enceinte un peu castratrice, Helen. Mais alors qui est qui, que se passe-t-il ? Adam est Anthony ou Anthony est-il Adam ? Adam va alors essayer de retrouver la trace de son jumeau mystérieux.


La question se pose, mais le long métrage ne se questionne que sur cet unique et seul arc narratif bien vite évident qui débouche sur les doutes d’un homme face à son enfermement autoritaire par rapport aux femmes de sa vie, dont l’araignée semble être l’emblème, incrustée dans de nombreuses scènes mentales. Malgré son manque d’opacité, Enemy dévoile des mystères au travers d’un montage particulièrement intelligent. Mais il est aisé de remarquer que l’élève est encore loin de dépasser les maîtres. Surtout qu’Enemy est enseveli sous les références, notamment, celle d’Eyes Wide Shut avec cette première séquence stridente plutôt bien réussie dans une orgie plus ou moins fétichiste. Mais là où l’œuvre de Stanley Kubrick se révélait être une réelle réflexion profonde sur le couple et les désirs inavoués, Enemy se renferme sur lui-même, comme Adam, et ne s’intéresse qu’à son effet de style plus ou moins trompeur, préférant jouer les petits malins à travers certaine scènes qui serviront de cache misère symbolique à un récit qui peine à mettre en éveil une quelconque fantaisie.


Dans une ville de Toronto, sanctuaire mental parfaitement photographié il faut l’admettre, Adam couche avec Mary, donne des cours à la fac, se tient la tête entre les mains, roule en voiture, change de vêtement avec Anthony. Et puis ? C’est tout. Malheureusement. Point final, le rideau tombe. Denis Villeneuve n’est pas le réalisateur le plus subtil existant, préférant mettre les pieds dans le plat avec une écriture éléphantesque (Œdipe d’Incendies), quitte à alourdir ses récits aux thématiques bien ancrées. Malgré tout, ce manque de finesse est dissimulé par une qualité qui est lui est propre : une dramaturgie épique qui fait s’envoler adroitement ses récits. Malheureusement Enemy prend le chemin inverse. Enemy mise tout sur sa subtilité maladroite de la parcimonie de ses indices et en oublie toute tentation d’enjeux narratifs.


Jonglant sur son écriture purement réflexive maitrisée, Denis Villeneuve en oublie toute écriture cinématographique, pointée du doigt par le manque de profondeur des deux femmes en question, alors qu’elles sont les deux causes principales du malaise psychologique d’Adam. Là où Mulholland Drive insérait ses troubles cauchemardesques dans une histoire d’amour intemporelle et un Hollywood funeste et presque misanthrope, là où Donnie Darko s’immisçait dans la jeunesse et le puritanisme hypocrite de la société américaine, là où L'Echelle de Jacob portait une réelle réflexion sur le poids de la guerre et la perte de contrôle, Enemy n’étudie aucune des pistes qu’il mène, notamment sur les couples trentenaires de notre génération, bien trop content de faire réfléchir l’imagination futile, au détriment du pur plaisir cinéphilique. Dommage.

Velvetman
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le 22 déc. 2014

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Velvetman

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