Une bluette post-grunge un peu tape-à-l'oeil, avec des acteurs formidables mais une seule idée

J'avais raté Eternal Sunshine of the Spotless Mind à sa sortie, dans le genre "film qu'il faut voir" et je ne le vois que quinze ans après. Archi-populaire, il bénéficie d'une aura de film culte, génial et révolutionnaire.
Alors déjà, ce qui m'étonne un peu, c'est une réputation de film plutôt indie, intello, arty et élitiste, alors qu'il est joué par trois méga-stars... Pas très crédible. On ne peut s'y tromper que si on n'est habitué qu'aux blockbusters. Même si certes il y a quelque chose d'un peu expérimental dans le film. Mais seulement dans la forme, dans le procédé de narration, pas dans le fond.
En fait, au bout de quelques minutes, je me suis fait la réflexion que le film était à moitié intéressant et à moitié agaçant. Et cette impression m'est restée pendant tout le film, le second ayant même tendance à l'emporter.
Le problème de ce long métrage c'est qu'il y a une idée, oui UNE, et une seule. Le postulat de départ est en effet que les deux principaux personnages, en couple, décident de se faire effacer mutuellement de leur mémoire, par une société spécialisée dans ce genre d'opération. Et tout est basé là-dessus, sur ce procédé mi-technique mi-médical. En plus cette particularité arrive comme un cheveu sur la soupe, dans le sens où il s'agit d'une société totalement semblable à la nôtre, avec juste cette possibilité en plus. Pourtant, on serait en droit d'imaginer qu'avec un outil aussi puissant, c'est toute la société qui serait transformée... On voit donc que l'idée reste déconnectée du reste et exploitée de manière superficielle.
Le propos du film n'est de toute façon pas d'inventer, mais seulement de montrer. Cet univers et cette façon de filmer sont même basés sur l’esbroufe. A vrai dire, le film a plutôt des airs de film publicitaire ou de clip vidéo, plus que d'un vrai long métrage. Il aurait pu en tous cas se limiter à un court métrage, cela aurait été suffisant.
Au cours du processus d'effacement de leur mémoire, visant à oublier leur histoire, devenue trop douloureuse, ils changent d'avis. A la fin, ils apprennent pourtant que leur histoire a très mal fini, qu'ils se sont mis à se détester, se mépriser. Malgré cela, ils préfèrent recommencer, et en plus sans rien changer. Cela est présenté comme quelque chose de beau, le vrai amour en quelque sorte.
On peut l'interpréter d'une autre façon. Pour moi, il s'agit de deux dépendants affectifs, chacun à leur façon, qui préfèrent encore rester dans une relation malheureuse qu'être seuls. Ils sont également complémentaires, et sont donc attachés l'un à l'autre (ce qui est différent de l'amour). Elle dit elle-même que les hommes sont en général avec elle pour se sentir vivants. Or, lui en a besoin plus encore qu'un autre, il est morose, sans imagination, introverti, inhibé. D'un autre côté, elle dit aussi qu'elle est paumée, que sa vie est un bordel. Et c'est là que monsieur devient intéressant : aussi routinier et ennuyeux soit-il, il représente pour elle la stabilité et la sécurité, un ancrage rassurant et confortable.
On pourrait se dire qu'ils ont bien raison, puisque chacun y gagne. Je trouve au contraire qu'il s'agit d'un choix bien pessimiste. Ils ont besoin l'un de l'autre, plus qu'envie l'un de l'autre. Ils pourraient très bien chacun garder leurs qualités tout en développant les qualités qui leur manquent et que l'autre a. Ils pourraient décider d'affronter leurs démons personnels. Ils pourraient aussi essayer de changer la relation elle-même, faute de se changer en tant qu'individus. Mais ils préfèrent jouer la sécurité, rester dans leur zone de confort et utiliser l'autre comme bouée de sauvetage. Tout en sachant qu'ils vont (à nouveau) beaucoup souffrir et faire souffrir l'autre.
Quoiqu'il en soit, j'ai trouvé le film plutôt longuet et un peu embrouillé, avec aussi beaucoup d'effets faciles et inutiles pour nous en mettre plein la vue, comme la maison dans laquelle ils se trouvent qui s'écroule peu à peu, ou la voiture qui tombe du ciel. Egalement quelques fausses bonnes idées, comme les faire systématiquement aller à la plage en hiver ou jouer sur la glace, comme si c'était subversif par rapport aux clichés du couple qui gambade sur une plage ensoleillée ou s'allonge dans un parc en été. Le procédé est trop calculé et artificiel pour être convaincant, et surtout pour faire ressentir quoi que ce soit. C'est de toute façon le problème de tout le film, qui ressemble plus au gadget d'un as de la communication qu'à l'oeuvre personnelle et poétique d'un authentique artiste.
Si les acteurs sont formidables, et à mon sens sauvent le film de l'ennui total, les personnages qu'ils incarnent eux, ne sont pas très convaincants, ni attachants, et quelque chose cloche dans leur personnalité et leur comportement, et surtout dans leur relation. J'ai d'ailleurs eu du mal à me persuader qu'ils étaient ensemble et s'aimaient...
Le réalisateur démontre ainsi sa méconnaissance de la psyché humaine. Ses deux personnages principaux sont caricaturaux, sans épaisseur, ils sont peu crédibles, ainsi que leur relation. Lui est timide, discret, sérieux, routinier, gentil et raisonnable, un peu intello. Elle, exubérante, audacieuse, créative, impulsive, instable, un peu vulgaire. Aucun autre aspect de leur personnalité ne se dévoile, aucune surprise, ils sont archi-prévisibles et monolithiques, un peu comme des machines obéissant à un programme. Ils se rencontrent et tombent amoureux, dans des circonstances un peu ridicules.
Le film est de toute façon une sorte de bluette, de film à l'eau de rose, mais version post-grunge ou pré-hispter, avec cheveux colorés, bonnet d'éboueur et tout le toutim. Tout est fait pour faire rebelle, branché, décalé.
L'ensemble manque de crédibilité et d'authenticité. On est trop dans la poudre aux yeux, dans le style "regardez comme je suis trop audacieux et subversif, je vous en mets plein la vue et je vous choque aha". Comme par exemple quand les deux techniciens dansent sur le lit du personnage endormi avec la musique à fond, en buvant et fumant, et finissent peu à peu nus et complètement défoncés. Poudre aux yeux qui toutefois semble fonctionner chez beaucoup de spectateurs. Pas chez moi, peut-être malheureusement après tout.

Spellbound
5
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le 30 mai 2019

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Spellbound

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