Après la France (Le passé), Asghar Farhadi est parti en Espagne y tourner son nouveau film et, pour l’occasion, s’est entouré de quelques noms indissociables de Pedro Almodóvar, de José Luis Alcaine à la photographie jusqu’à deux de ses acteurs fétiches (Penélope Cruz et Javier Bardem). Mais qu’il tourne chez lui en Iran ou ailleurs dans le monde, Farhadi semble avoir atteint, avec Everybody knows (et même avec Le client), les limites évidentes de son cinéma, filmant comme à son habitude les amertumes, les non-dits et les méprises qui viennent malmener l’existence, le tout entravé dans une mécanique scénaristique (la même depuis Une séparation) dont on connaît dorénavant le moindre des plus petits rouages (étrange ironie alors quand, lors du générique d’ouverture, Farhadi se plaît à filmer ceux de l’horloge d’une église).


Prenant comme point de départ l’enlèvement d’une adolescente lors d’un mariage dans un petit village de Castille, Farhadi suit à la lettre le manuel de la parfaite petite tragédie familiale. Entre vieilles rancœurs et querelles terriennes, amours anciennes et alcoolisme, paternité cachée et domaine viticole en arrière-plan (rien ne paraît avoir été oublié au cahier des charges), Everybody knows ressemble à un condensé de ces sagas ringardes et convenues qui, jadis (et parfois encore aujourd’hui, tel un chancre incurable), égayèrent nos soirées d’été télévisuelles, ou à ces telenovelas de luxe qui n’auraient pour elles qu’un casting glamour en béton armé et les honneurs obscurs d’une sélection officielle au Festival de Cannes.


Le scénario n’est qu’une succession de cachotteries, de révélations et de fausses pistes, suivies d’autres cachotteries, révélations et fausses pistes précédant de nouvelles cachotteries, révélations et fausses pistes. Le film, qui commençait pourtant bien, finit par tourner en rond, ne s’échinant plus qu’à permuter les sentiments de suspicion (qui a enlevé Irene ?) entre chaque personnage pendant plus de deux heures, et jusqu’à cette révélation finale qui tombe à plat et dont, à force de redites et de suspens laborieux, on se contrefout en beauté. Farhadi, tout galvanisé d’une reconnaissance internationale, s’exporte désormais comme on exporte des tapis (persans), avec cette impression de devoir marchander, brader qualité et savoir-faire.


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mymp
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le 15 mai 2018

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