Je l'ai vu il y a très longtemps et j'avais oublié la majeure partie du film.


J'avais en mémoire des images comme la délicate et cruelle rencontre entre la créature et la petite fille au bord du lac, cette courte parenthèse étant à la fois charmante et inquiétante d'abord. On est partagé entre l'angoisse de cette grosse machine à tuer, cette puissance incontrôlable face à ce petit bout de chou inconscient. Mais la séquence est aussi presque onirique, avec une délicatesse étrange. Elle tranche tellement avec l'esthétique du film. Et la créature se révèle plus maladroite que maléfique, comme un grand enfant ignorant sa force. Elle peut sourire, mais ne sait pas maîtriser ce nouveau corps. Une souris et un grand bonhomme.


Je me souvenais bien sûr de ces atroces scènes avec le moulin en proie aux flammes, la pauvre créature condamnée. Le romantisme gothique par excellence, non ? Cruauté du monde, injustice dont on ne sait si elle procède de la condition humaine ou si c'est la nature qui tire de bien vilaines ficelles. Le scientifique use sa santé mentale et physique à essayer de dompter cette nature.


L'image figée de la chambre de la jeune mariée dévastée m'avait marqué parce qu'elle évoquait certaines peintures grandiloquentes du XIXe siècle. Encore ce romantisme omniprésent ! Encore ce siècle qui se désespère de la perte de Dieu en découvrant des pouvoirs que la science lui octroie avec soudaineté.


Je me souvenais également du malaise qui m'avait saisi à l'estomac à la vue de cette foule d'enragés, flambeau ou fourche à la main déambulant et vociférant dans les rues du village. Qu'est-ce qui est le plus effrayant entre la créature brutale et la foule furieuse? Cela rappelle le "Fury" de Fritz Lang.


Cette version de Frankenstein est davantage axée sur la créature, ce qu'elle peut représenter comme péril social, mais également sa part d'humanité qui semble innée et pourtant composite, malheureusement illisible pour la communauté villageoise.


La folie du Dr Frankenstein est toutefois bien présente dans la première partie. Colin Clive joue très bien cette fièvre de découverte, entre ambition, vanité et aigreur. L'esprit de revanche, posture de scientifique maudit en quelque sorte, du savant fou prométhéen s'est emparé du personnage. Le comédien assure. Il réussit à faire un portrait fidèle de l'idée qu'on s'en fait, sans verser dans l'excès, dans la grandiloquence.


Autour de ces deux personnages principaux, les autres font tout de même pâle figure. Entre la blonde éthérée, lumineuse, inquiète jusqu'à en devenir chiante pour tout dire, jouée par une Mae Clarke qui la rend encore plus mièvre que sur le papier et le bellâtre John Boles au regard bovin représentant l'ami fidèle, mais rêvant secrètement de croquer la donzelle de son copain, certaines scènes frisent le ridicule. Elles sont rares toutefois.


Et le vieux père de Frankenstein joué par Frederick Kerr s'essaie à être le papy grincheux. Il est censé amener une note d'humour. Bah, c'est nettement loupé ! N'est pas Lubitsch ou Capra qui veut.


Non, on sera bien plus marqué par cette image du papa paysan marchant le regard hébété dans les rues en fête, les bras chargés du cadavre de sa petite fille. Il fallait bien ce sinistre spectacle pour déclencher la rage collective contre la créature.


Un classique du fantastique qui mérite encore ses étoiles. Rien que pour la prestation de Boris Karloff, pour l'ambiance gothique, le désespoir qui habille les décors et la morale de cette histoire qui interpelle.


http://alligatographe.blogspot.fr/2015/06/frankenstein-karloff.html

Alligator
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le 1 juin 2015

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