Funny Games par Kamila-Alice Volsteadt

« Funny Games » est de ces films qui ne laissent pas de marbre car le fait de se demander s'il faut continuer à regarder le film non pas parce que la violence est insoutenable mais bien parce qu'on culpabilise d'être le spectateur d'un tel carnage, d'être ainsi mis dans une telle position de témoin-voyeur est en soi un fait particulier. Nombreux sont les films qui réfléchisse sur la question sociétale de la violence mais aucun ne m'a autant permis d'élaborer une telle réflexion sur le rôle du spectateur face à un film mais aussi sur la question de l'impact de la violence au cinéma dans la subjectivité de nous spectateurs. « Orange Mécanique » de Stanley Kubrick était perçu comme une critique de la montée de l'ultra-violence dans la société contemporaine mais dans ce film la prise de distance est possible par le fait que la violence était sur-esthétisée et ce n'est pas un hasard si suite au film, nous avons vu apparaître des fans du film habillés en droogies. Dans ce film, la violence est élévée au titre de culte et elle est déréalisée au possible. Ce qui vient à déranger dans« Funny Games » c'est la justesse de la restitution de la violence en tant que telle. La violence n'y est jamais drôle ou belle. La violence est violente, et on comprend qu'elle ne devrait être jamais rien d'autre. Haneke ne se situe pas dans une surenchère perverse, une recherche dans la montée en puissance du voyeurisme du spectateur comme beaucoup de films d'horreurs se permettent de le faire. Ce n'est pas un travail sur l'escalade de la violence car contrairement à « C'est arrivé prés de chez vous » de Rémy Belvaux où la violence est censée être distrayante voire drôle et où l'on se demande tout au long du film jusqu'où cela va aller , et à ce juste titre , le spectateur de « Funny Games » peut ressentir une frustration face à la logique réaliste de ce que présente Haneke. Pas de concession dans cette présentation de la violence, Haneke respecte parfaitement son sujet. L'épure dans le traitement du sujet en est admirable. Jamais il n'y a ce sentiment de complaisance, seulement ce perpétuel questionnement sur notre propre point de vue. Sommes-nous innocents face au contenu audiovisuel regardé ? Les adresses au spectateur de Paul ne sont pas une mise en scéne du sadisme du personnage mais une façon de faire prendre conscience à celui qui est en train de regarder qu'il n'est justement pas innocent face au fait d'observer le drame qui se déroule. Haneke a dit à propos de son film « La question n'est pas de savoir ce que l'on a le droit de montrer, mais comment permettre au spectateur de comprendre ce qu'on lui montre ». Le seul but du réalisateur étant d'inviter le spectateur à la réflexion. Il place le point de vue de celui qui regarde au centre de la conception de son film, et une autre manière d'analyser la première scène serait de dire qu'en plus de la menace qui plane, c'est le regard du spectateur qui scrute la scène. La menace n'est-elle pas aussi dans la passivité face à des événements ?
De plus, la construction des personnages de Paul et Peter est de ce fait exemplaire. Ce n'est pas un duo uniforme mais un duo au sein-même de laquelle on retrouve la structure du maître et de l'esclave. Paul, figure charismatique de cet enfant de bonne famille aimable et courtois, insupportable par son aisance condescendante, accompagné de son ami Peter un peu pataud qui fait aussi office de souffre-douleur. La jouissance dans la souffrance d'autrui est étendue chez Paul, il applique donc ses principes de domination avec la famille mais aussi avec son ami dans cette recherche de blesser l'autre pour son propre plaisir car il ne cesse de le rabaisser pour faussement plaisanter. Paul est cette incarnation dérangeante de l'aspect séduisant du bourreau au sommet de son art dans le sadisme, en effet le personnage est semblable aux SS dans les films de la Seconde Guerre Mondiale. Et Haneke a la finesse de mettre des gants dans la construction de ce personnage car il est autrichien et le spectre du nazisme ne cesse de hanter le cinéma germanophone. De fait, il amène un recul évident en plaquant une esthétique à l'anglaise sur Paul et Peter. Ceux-ci avec leurs allures de joueurs de crickets oxoniens cosmopolites ne permettent pas un rapprochement direct, une forme de caricature ramenant aux structures directes du nazisme. Il est impensable que Haneke n'ait pas pensé à cette prise de distance. Le film s'appelle « Funny Games » et non pas Komischen Spiele. « Funny Games » est un film sur la violence et il démontre qu'elle pourrait surgir de nulle part. A côté de chez vous (Et on peut voir en la version américaine une façon d'étendre et de mieux généraliser son idée). La fin le démontre d'autant plus qu'ils s'apprêtent à s'attaquer sur un îlot voisin, à une autre maisonnée. Cela suit la logique du film qui inscrit la violence dans un mouvement perpétuel car on retrouve la musique agressive du groupe de métal expérimental Naked City dans le dernier plan.
Haneke a réfléchi son film de bout en bout , cela se passe dans une maison de vacances, et non pas dans des décors que l'on retrouve plus habituellement dans des films du genre, campant l'horreur dès le départ, telle qu'une campagne marécageuse dont l'aspect glauque est révélateur d'emblée de ce qui va se passer. Rien ne préparait au drame dans ce film et la famille semblait même très heureuse. C'est l'aspect inopiné et réaliste de son sujet que Haneke a voulu mettre en valeur dans ce choix qui se démarque des codes du genre. La signifiance n'est là que lorsqu'elle est utile.
En somme, ce film m'a profondément atteinte pour le simple fait que la violence de ce film n'est pas gratuite. Je n'ai pas ressenti de la part du cinéaste une quelconque pulsion malsaine dans la volonté de créer ce film mais bien une envie de pousser le spectateur à sortir de sa passivité habituelle. Les questionnements de ce film sont nombreux tant sur la perception de la violence que les mécanismes d'un pouvoir totalitaire mais chacun nous ramène à cette idée qu'il faut dépasser sa condition de simple point de vue.
Kamila-Alice
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le 21 déc. 2011

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