Fury
6.7
Fury

Film de David Ayer (2014)

Fury: une réflexion sur la mythologie cinématographique.

« Il n’est pas de mythologie, il n’y peut du moins plus y en avoir après le cataclysme de modernité de la seconde guerre mondiale ; il n’y a qu’un réel gorgé de violence dépourvu de grandeur et de noblesse ». C’est ce postulat sec et réaliste qui est illustré par les premières images de Fury, film écrit et réalisé par David Ayer, et paru en salle en 2014.
C’est en effet d’un univers d’apocalypse, de tanks et de corps calcinés, cimetière des éléphants dans la brume, que surgit un cavalier germanique, fringuant, à l’élégance martiale. Son pas est paisible, son allure sure au milieu de la mort et du chaos. Ce cavalier et sa monture blanche, par leur contraste saisissant avec un environnement d’obscurité et de flammes, incarnent la stabilité, la maîtrise et une vision aristocratique de la guerre. Ils perdent assurément toute portée réaliste et ce pour verser à plein dans le symbolique. Il s’agit en effet d’y voir l’allégorie d’une cavalerie idéalisée chargeant sabre au clair, le symbole d’une guerre soi-disant glorieuse ; cette même guerre des anciens temps dont Renoir constatait l’inanité et la totale disparition dans la Grande Illusion. A ce dernier spectre d’une époque fantasmée dénuée de réalité, le GI ne laissera aucune chance et surgissant des flammes d’un monstre de fer, l’égorgera sans sommation, avec toute la violence animale possible. Surgi de la modernité pour accomplir un acte animal, ce GI ramasse en lui toute la démarche d’Ayer.
On pourrait croire que cette démarche se résumerait à l’anéantissement de toute idéalisation et de toute mythologie guerrière par la mise à mort de symboles récurrents : on commence par le cavalier teuton, on en viendra au char tigre. Mais l’espace cinématographique est par essence mythologique et le pousser au réalisme est une course vaine. Ayer en a pleinement conscience et il ne déconstruira une mythologie guerrière que pour nous en proposer une bien plus universelle.
En effet Ayer ne peut sortir de l’espace mythologique, car il s’enferme dans un paradoxe formel crucial : lorsque War Daddy, incarné par Brad Pitt, expédie à coup de lame le cavalier symbolique, ce mythe désuet et facile, il accomplit forcément un acte lui-même symbolique. Malgré lui, War Daddy devient à son tour un symbole : l’allégorie est contagieuse. Symbole de la violence animale qui réside en chaque homme, de la modernité chaotique ou bien de la capacité émancipatrice de l’homme qui libère l’animal de son licol ?? Ayer n’offre alors que ses pistes subsidiaires.
En un mot, le moyen trahit l’intention : on ne peut déraciner une mythologie par le recours au symbole fondement même de cette dernière ; ou en d’autres termes quiconque s’attaque à un symbole est condamné à en devenir un à son tour.
C’est donc bien au-delà de la nature de la guerre, mais sur celle des mythes et de l’humanité que nous entraîne et nous interroge Ayer. Qu’est-ce qu’une mythologie ? Quelle en est la source, l’énergie vive ? Toute mythologie est-elle nécessairement emprisonnée dans le paradoxe suivant : offrir une vision mensongère et illusoire d’un monde qu’elle est censée éclairer et décrypter ? Enfin qu’est-ce que l’humain ? La guerre devient le support d’une quête philosophique.
Le film se structure en trois temps, qui seront les trois étapes de cette analyse linéaire. Un premier bloc pose la déconstruction systématique de tout mythe, on l’intitulera : « le leurre réaliste ». Le dernier bloc expose la rencontre apocalyptique de deux allégories, celle de la spiritualité chrétienne et celle du paganisme SS, on l’intitulera : « la révélation ». Une partie intermédiaire lissée et poreuse, fait la jonction entre les deux blocs extrêmes, il s’agit de la reconstruction progressive des symboles propres à Ayer, on l’intitulera : « Un cinéma par essence symbolique ».
AlfRed1
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le 2 mars 2015

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AlfRed1

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