Fury, c'est le petit nom d'un char Sherman pendant la campagne d'Allemagne en 1945. Un tank ce n'est pas qu'une arme de guerre motorisée, c'est aussi un microcosme au coeur de la bataille, un équipage crédible et servi par des acteurs convaincus et convaincants. Le film débute par un traumatisme, la mort d'un membre de l'équipage, une mort que l'on ne voit pas mais qui permet d'ancrer immédiatement les survivants dans leur détresse et leurs obsessions. A la suite de cet incident ils accueillent un bleu à qui il ne sera fait aucun cadeau, tout simplement parce que la guerre ne pardonne rien non plus.
Bien que raconté du point de vue de l'armée américaine il est difficile de dire que Fury en dresse un portait spécialement flatteur. Depuis bien longtemps ces soldats ont oublié leurs illusions. Ils sont fatigués, à bout de nerf et la seule chose qu'il leur reste c'est la mort. Une mort qui hante chaque plan du film et qui pousse ces hommes à se transformer en véritables bêtes, tuant sans distinction enfants, pères de famille ou prisonniers, développant pour certain une attitude sadique comme dernier rempart avant la folie totale. Des types pour qui envisager un moment simple et civilisé est devenu trop compliqué, trop loin d'eux. Ce climat mortifère plein de sang, de crasse et de boue prend à la gorge dès le premier plan et donne à Fury une grande partie de son intérêt. Scope élégant, montage fluide, effets immersifs et sound design qui vous colle au siège, David Ayer, réalisateur bipolaire capable du meilleur (End of Watch) comme du pire (Sabotage), filme les batailles avec une intensité de tous les instants, les manoeuvres de chars n'ont jamais été aussi impressionnantes à l'écran.
Fury possède donc tous les atours du grand film de guerre, et c'est le cas... jusqu'à ce que le film dérape sur sa dernière séquence. Isolé, l'équipage de Fury doit faire face à un bataillon allemand et on assiste alors à une longue scène d'action digne d'une production Michael Bay. Ayer abandonne toute la tension et l'âpreté de son approche et montre nos héros défourailler du boche par paquet de 200 (un dialogue prend d'ailleurs bien soin de nous préciser le nombre). Ces soldats allemands, que l'on voit pourtant équipés d'armes anti-char, préfèrent vider les chargeurs de leurs armes de petit calibre sur le blindage du blindé. Pire, ils adorent courir à terrain découvert, dans la ligne de tir, pour mourir gratuitement. Pas un seul d'entre eux n'a l'idée de contourner Fury pour l'attaquer par derrière, ce qui permet à Brad Pitt de faire le kéké avec sa mitrailleuse calibre 50 à l'extérieur du tank pendant 10 bonnes minutes sans être inquiété plus que ça, tout juste un sniper un peu branquignolle s'autorisera à le blesser. Jusque là on pardonnait les séquences imposées, qui s'intégraient bien dans le récit mais dès ce dernier tiers entamé, difficile de continuer à croire à ce qu'on nous montre.
Si on peut facilement comprendre le besoin d'offrir une bataille finale à un film de guerre, il est vraiment dommage d'avoir adopté un angle comme celui-ci, à contre-sens de tout ce que le film s'est évertué à construire jusque là. De l'art délicat de tenir son film jusqu'au bout, Fury rate de peu le coche du très bon film et laisse un sentiment pas désagréable mais mitigé.