Un film pour vieux. Qu’est-ce qui restera de notre vie lorsque nous regarderons en arrière au moment de mourir ? Voilà une question qui ne taraude que peu le jeune dans la force de l’âge ! Une question terrible, à laquelle Dreyer répond : « les moments où l’on a aimé ». Gertrud n’aura jamais vraiment été aimée : ni par Gustav pour qui elle ne fut jamais qu’un objet de compagnie, ni par Gabriel trop occupé par son art et par sa recherche de la célébrité, ni par Erland qui ne chercha jamais qu’à la posséder. Mais du moins aura-t-elle aimé, et c’est ce qui la réconforte à la fin du film.
Ode à l’amour comme absolu, œuvre truffée de phrases profondes (par exemple, « ce qu’on gagne ne compte pas, c’est ce qu’on a perdu qui est important ») sur l’amour, le libre arbitre, le sens de la vie (« la vie nous échappe de toute façon « ), Gertrud pourrait être un grand film sans la pesante solennité qui nimbe tout ce discours : les longues conversations où Gertrud débite des tirades désespérées le regard noyé dans le vide finissent par nuire au film et à son projet. On peine à comprendre pourquoi tant d’hommes se disputent un personnage aussi lugubre, dépourvu de toute sensualité (on a quelque peine à se la représenter en plein ébat charnel). La musicalité très rêche du danois n’aide pas : tout est très raide et compassé, un peu comme chez Ozu, mais on l’accepte plus aisément chez les Japonais comme une donnée culturelle...
6,5 quand même car nous sommes chez Dreyer, avec toujours la beauté de ce noir et blanc, le soin porté au décor (importance des tableaux aux murs par exemple) et quelques plans sidérants, comme ce moment où Gertrud, en noir, apparaît dans l’étroit miroir cerné par deux cierges. La scène de rupture est également superbe. Je n’aurais pas ajouté cette ultime moment entre Gertrud et Alex, mal vieillis (juste teindre les cheveux en blancs, ça ne le fait pas, surtout en gros plan).
La fin aurait eu plus de force, ce me semble, avec Gertrud quittant la maison, laissant seuls aussi bien Gustav que Gabriel. 3 G que la vie ne sut pas unir.