Get out, Thriller de Jordan Peele, avec Daniel Kaluuya, Allison Williams, Catherine Keener – 104 mn
Le film s'ouvre sur un noir perdu dans une banlieue qui se fait agresser et embarquer dans une voiture. Puis arrive le générique et le film démarre. Chris est noir, Rose sa petite amie est blanche. Ils s'aiment et Rose l'emmène pour le présenter à sa famille qui vit en pleine campagne. En traversant un bois ils blessent un chevreuil et le laissent agonisant. Contrôlée par la police, Rose refuse qu'on contrôle l'identité de Chris. On pense que c'est un refus du racisme que ce contrôle supposerait qui guide la jeune femme. Lorsqu'on arrive dans le manoir, l'excès d'attention que lui manifeste la famille très accueillante, alors que le jardinier et la femme de chambre sont noirs, mais traités « comme s'ils étaient de la famille », crée un doute sur la sincérité des élans manifestés, d'autant plus que ces deux domestiques semblent trop effacés et lui reprocher sa présence parmi ceux qui les exploitent. Le spectateur y voit une confirmation que le cinéaste se propose d'analyser un racisme qui ne veut pas se reconnaître. La première soirée révèle un vrai malaise, confirmant la première piste de lecture. Ce sentiment se renforce avec l'arrivée du frère de Rose qui se montre assez incompréhensiblement agressif envers Chris, et le lendemain quand débarque pour une fête auquel l'invité ne s'attendait pas, une flopée de bourgeois dans une surenchère de manifestations d'anti-racisme surjoué. Le spectateur est de plus troublé, confirmé dans son interprétation première, signe d'ailleurs que lui-même a accepté de considérer comme singulier cet amour entre un noir et une blanche, voire a été quelque peu dérangé par ces longs baisers en très gros plans, entre une bouche noire et une bouche blanche !
Très mal à l'aise, n'arrivant pas à trouver le sommeil, Chris sort dans le parc la nuit pour fumer une cigarette, alors qu'il est censé avoir subi, contre son gré, une séance d'hypnose par la mère de sa compagne, pour guérir sa dépendance au tabac. Coup de gong, nous changeons de registre […] et je me garderait bien de dévoiler la suite.
Ainsi Jordan Peele nous fait passer du film sociétal qui semble dénoncer le racisme bobo, à un tout autre sujet : un Frankestein des temps présents. N'étant pas un habitué de ce genre de cinéma, les clichés ne m'ont pas trop gêné, je n'ai pas vu venir l'horreur et la mécanique cinématographique a très bien fonctionné, je suis entré dans le film de l’angoisse, jusqu'au final.

Je m’interrogerai plutôt sur le fond. Est-ce que ce film en fin de compte réussit à poser la question du racisme ? Je n'y crois pas trop, à moins d'admettre que Nosferatu soit un appel à donner son sang, ou Frankestein une contestation de la gérontocratie ou de la science. Il se peut pourtant que le spectateur accepte d'admettre que lui-même n'a pas perçu comme banal ce couple mixte, qu’il a lui-même pu être gêné par ces deux longs baisers filmés comme deux chairs aplaties l'une sur l'autre plutôt qu'expression d'une sensualité naturelle, seuls moments de contacts entre ces deux jeunes personnages, autant qu'il m'en souvienne. Ce spectateur alors peut s’interroger. Il serait absurde de dire que ce film est raciste, mais n'est-ce pas à partir de ce racisme latent qui est en nous, refoulé certes, mais quand même présent, que se noue l'étrangeté dans laquelle le spectateur est plongé lentement ? Je ne peux en juger que par une introspection personnelle et ne peux en aucun cas inférer que ce sentiment contre lequel il nous faut lutter est partagé par tous les spectateurs. Force est quand même de constater que le racisme est un sentiment bien partagé, dans toutes les communautés humaines, et que ce n'est que par un effort sur soi-même, par un appel à la raison qu'on peut espérer le vaincre et un jour être enfin définitivement débarrassé de cette plaie. L'autre, l'étranger, interroge toujours notre propre individualité, perception immédiate de tout être vivant : il y a moi, et il y a les autres, tous les autres, plus ou moins proches, en qui je me reconnais plus ou moins, et avec qui je me sens plus ou moins en confiance. Si nous les humains arrivons à apaiser notre rapport à l'autre, à ne pas y voir un potentiel agresseur, ce n'est que par un lent processus civilisationnel en cours et toujours remis en cause, tant il est facile de descendre vers la barbarie, et difficile de lutter contre la part animale, instinctive, qui est en chacun de nous. Simple question, lourde de conséquence, par souci de ne pas réduire ce film réussi à un simple spectacle à vite oublier pour passer à un autre divertissement, c’est-à-dire oublier de vivre.

Douncin
7
Écrit par

Créée

le 11 mai 2017

Critique lue 787 fois

3 j'aime

2 commentaires

Douncin

Écrit par

Critique lue 787 fois

3
2

D'autres avis sur Get Out

Get Out
BobChoco
5

I told you so

Bon, pour ceux qui n'ont pas vu le film, passez votre chemin. Ce qui m'a attiré de prime abord, c'est le "genre : horreur" annoncé par la com sur la toile couplée au pitch: "Chris est noir. Chris...

le 22 mai 2017

136 j'aime

15

Get Out
Behind_the_Mask
7

I am not your negro

Wahou ! C'est que c'était bien, finalement, Get Out ! Behind est soulagé car il craignait d'avoir payé sa place pour un pamphlet politique qui aurait dépassé son genre de départ, que le masqué...

le 4 mai 2017

120 j'aime

7

Get Out
Clairette02
8

Man, I told you not to go in that house.

Des bienfaits de ne pas trop se renseigner sur un film... Je suis allée voir Get out en pensant qu'il s'agissait d'une comédie, portant sur le racisme aux Etats-Unis. Pas sûr que le terme de...

le 1 mai 2017

99 j'aime

8

Du même critique

Corporate
Douncin
7

Critique de Corporate par Douncin

Corporate De Nicolas Silhol – 95 mn Émilie Tesson-Hansen est une jeune et brillante responsable des Ressources Humaines, chargée de dégraisser les effectifs de l’entreprise soft où tout monde se...

le 23 avr. 2017

5 j'aime

2

L'Autre Côté de l'espoir
Douncin
8

Critique de L'Autre Côté de l'espoir par Douncin

D’un humour froid, plein de chaleur humaine, à coup sûr un excellent film qui pose avec beaucoup de sensibilité, sans sensiblerie, une question oh combien d’actualité de ces êtres qui errent à...

le 19 mars 2017

5 j'aime

120 battements par minute
Douncin
8

Un film d'histoire et d'actualité

Le film relate les premiers combats militants d'Act Up, une association qui s'était créée pour sensibiliser l'opinion publique sur cette maladie surgie dans les milieux homosexuels dans les...

le 30 août 2017

4 j'aime