J'irai cracher sur votre fatalisme

Spoiler


Existe-t-il des situations inextricables? Existe-t-il des situations où nous nous retrouvons finalement dépossédés de toutes possibilité de se battre, voir simplement d'agir? Y a-t-il toujours de l'espoir?


Certains aspects de la réalité sont immuables. La couleur de la peau par exemple. Et encore (cf. Le Roi de la Pop). La mort l'est aussi. Nos limites sont immuables elles aussi. Elles sont floues mais elles existent. Il y a des choses que l'on ne pourra jamais faire. Des choses que l'on ne pourra jamais changer aussi. De là à dire qu'elles sont toutes insurmontables... il y a une nuance !


Il y a comme des espaces limites, qui tiennent séparés les situations désespérées des situations super-flexibles. Et entre ces espaces il y a des frontières floues, des situations hybrides, ambiguë, qui demande du discernement. Ou un peu de folie.


La scène des œufs


"Get out" nous amène aimablement sur ces frontières. Progressivement. La première partie du film nous désoriente. Comme la scène d'introduction de « Funny Games ». La scène des œufs. On oscille entre bienveillance, chaleur humaine et malaise absolu. La situation est insondable, et on accompagne les personnages menacés dans leur questionnement soudain. Dans leur auto persuasion. Dans leur déni presque. On sent qu'ils sentent que ça craint. Mais on sent aussi qu'ils aimeraient que ça ne craigne pas. Ils tentent de remonter la fatalité à contre-courant. Au loin, chaque seconde un peu plus loin, chaque seconde un peu plus petit, il y a l'espace des situations flexibles, celui où l'abîme n'est qu'une ombre, et où les marges de manœuvre sont légion.


Le coup de club de golf


Dans les deux films, "Get out" et "Funny games", il y a un coup d'envoi. Un événement qui marque la fin de l'ambiguïté. Qui nous plonge soudainement dans l'horreur. Dans Funny Games, c'est le coup de club de golf dans le genou du père. Le doute n'est plus permis, les deux jeunes garçons habillés en blanc sont venus pour faire du mal. Tout ce qui se passe avant peut être question d'interprétation. Mais au coup d'envoi, l'horreur nous saute au visage.


Dans Get out, le coup d'envoi se fait tellement attendre. La scène des oeufs est étirée. Il y a des événements marquants cependant, qui nous tirent progressivement vers le bas. Comme lorsque le salon mondain s'arrête de parler pour écouter les pas de Chris à l'étage. Un silence soudain et incompréhensible. Qui gifle d'un coup. C'est une coupure nette, qui confirme brutalement l'existence de non-dits. Mais le doute est permis sur le danger que cela implique, bien que les indices de mauvais augure pullulent. On oscille, on s'accroche à l'espoir. Il y a des oasis. La petite amie déjà, qui dédramatise souvent. Et qui écoute quand il faut. Et puis la voiture, comme une issue de secours. Ainsi, le coup d'envoi de ce film, c'est lorsque cette petite amie agite les clés de l'espoir avec malice, sur un "mon amour tu sais bien que tu ne les auras pas » aussi froid dans le ton que familier dans le choix des mots. On bascule dans l'horreur définitive. Comme un coup de golf dans un genou. On est à la frontière de l'inextricable. L'horreur est là. Et le désespoir guette. Il suffit de faire un tout petit pas de plus.


La télécommande: un petit objet pour l'homme, un grand pas pour le désespoir


Une lutte s'engage, parce que l'homme a de la ressource. Et la lutte ne laisse pas de place au désespoir. Or, dans ce genre de film, il faut que l'espoir meurt. Les réalisateurs utilisent alors des objets magiques. Pour nous aider à faire le petit pas qu'il reste. Dans Funny Games, la scène de la télécommande tue l'espoir de la manière la plus cynique qu'il soit. Elle rembobine la révolte, pour donner une deuxième chance à l'horreur. Cette scène nous explique qu'il n'y aura pas de fin heureuse.


Dans Get Out, la télécommande est une tasse de thé. La tasse ne rembobine pas, mais elle prive la victime de toutes ses ressources, mentales et psychiques. Par l'hypnose, elle soumet. Définitivement. Avec une facilité tout aussi cynique qu'un simple bouton de télécommande.


Ces deux objets, dans les deux films, nous font basculer dans l'espace des situations inextricables. Des espaces dont les principes de base organisent le désespoir. Le déséquilibre injuste des forces.


J'irai cracher sur vos tombes


Inextricables du coup. Mais insurmontables... c'est vite dit. Faut pas paniquer c'est sûr, faut se poser un peu. Bien réfléchir. Devenir un peu fou aussi. Ou se mettre en colère c'est selon.


Dans le roman de Boris Vian, Lee a perdu son frère et le racisme gangrène la société dans laquelle il est. De manière inconditionnelle. Ce sont des vérités générales. Inextricables. Si Lee refuse l'inflexibilité de ces vérités, il sombrera dans le désespoir. Et dans l'immobillisme. Mais non, Lee les accepte. Et il les dépasse à coups de pelle dans la tronche. À coups de vengeance.


Chris, dans Get Out, est une fois encore emmerdée pour sa couleur de peau (d'après le premier dialogue du film, on peut se douter que ce n'est pas la première fois). Et il sera toujours emmerdé pour sa couleur de peau. Toute sa vie. Par ailleurs, Chris est sous contrôle hypnotique. Comme tenu par une laisse. Ou par un collier à décharge électrique. Ces vérités là ne peuvent pas être combattues.


Mais Chris a de la colère, et de la folie. De la culpabilité aussi. Et il laisse tout sortir. Il explose et casse les frontières. Il refuse l'espace des problèmes insurmontables, il s'évade du gouffre de l'oubli dans lequel l'hypnose l'emmène en permanence. Il brise la tasse. Comme un animal qui désactiverait temporairement son collier électrique. Il dépasse la peur et la douleur, à l'image de ce couteau planté dans sa main par la mère. Un couteau qui rentre par la paume et ressort de l'autre côté, et que Chris ne semble même pas remarquer. Il semble presque ignorer la mort, atteignant à sa manière l'objectif que s'étaient donnés ses agresseurs. Une forme d'immortalité. Psychique en tout cas.


Ceci n'est pas une tasse


Alors ce sont des films. Ou des livres. On est dans le Trash. Dans la violence gratuite et disproportionnée. Dans l'épique aussi parfois. Ce sont des histoires fictives. Céline le dit:


Il va de la vie à la mort. Hommes, bêtes, villes et choses, tout est imaginé. C'est un roman, rien qu'une histoire fictive.


Le Je de Boris Vian ne concerne d'ailleurs pas l'auteur, mais Lee, le personnage. J'irai cracher sur vos tombes n'incite pas à donner des coups de pelle dans la tronche des petites bourgeoises racistes. Parce que seule la légitime défense est acceptable, et que 99,9 % des petites bourgeoises racistes ne sont pas plus dangereuse qu'un buisson d'hortensias. Boris Vian est ici dans la provocation, pour marquer les esprits. Ce genre de roman ne cherche pas à alimenter la haine ou la violence entre les êtres humains, mais nous incite plutôt à donner des coups de pelle aux vrais problèmes. Et on a l'embarras du choix : discrimination, bien entendu, mais aussi maladie, démocratie représentative, tétraplégie, puberté ... Le plus dur étant d'identifier les tasses de thé associées. Et de trouver une bonne pelle.

Vernon79
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le 23 juin 2017

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Vernon79

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