Quand De Lesquen succombera au cosmopolitisme

Un thriller malicieux et ambitieux, fût-il conçu par une gloire moyenne locale (Jordan Peele, humoriste connu notamment via la série Key & Peele), n'est pas armé pour faire s'ébaubir l'intelligentsia, les twittos, convaincus de tous horizons et professionnels de la profession – et battre les records au box-office de l'Horreur américaine. Get Out est manifestement né au bon moment au bon endroit – les pays directement subordonnés aux émulations des États-Unis, comme la France, ont suivi le mouvement, d'après les chiffres c'est évident, d'après les commentaires moins éloquent. Lorsque la hype sera digérée, Get Out pourra encore s'imposer grâce à ses qualités et une en particulier, qui déguise habilement ses pudeurs et ses angles morts : l’ambiguïté.


Trois parties distinctes et inégales quadrillent le film : une première plutôt conventionnelle, une seconde audacieuse, abattant sereinement ses cartes, puis une dernière virant au grand-guignol (un peu d'élan et le remake non-autorisé de Martyrs déboulait). Les enjeux en 'seconde lecture' évoluent avec. Ainsi le malaise des classes prend le pas sur les résidus de racisme malgré le repentir exubérant (l'adoration d'Obama étant le stigmate ultime), avant que l'eugénisme n'exulte à l'écran. Toutes ces catégories et ces boussoles sont solidaires et cette harmonie est du meilleur effet pour le plaisir pervers du spectateur et pour lui donner du grain à moudre. La foire du dernier acte une fois achevée, la grande question en suspens passe au premier plan : que cherche Get Out ? Dénoncer le racisme qui s'entretient ; se transforme ; la perte d'une identité, de traditions 'noires' ? Disserter le sentiment de néantisation face aux fantaisies de la domination ? Tous les thèmes embarqués trouvent une belle illustration, pas nécessairement à l'image, mais bien dans l'ambiance, les urgences de tel passage.


Mais le défaut d'engagement profond devient handicapant lorsque le scénario seul doit mener la barque (en terme de divertissement c'est moins vrai, pour l'impact immédiat c'est presque le contraire), celui-ci étant moins autonome et large 'd'esprit'. Le basculement (vers l'opération et les coulisses) et le dénouement sont forts en horreurs, les révélations dépourvues d'approfondissements. Le niveau descend à l'étiage d'une série TV impulsive pendant la conclusion taillée à l'arrache. Globalement, le film se sera laissé aller à quelques facilités, mais pour doper l'action ou l'intensité davantage que se justifier ; il récupère des clichés de l'horreur contemporaine (les jump scare, le cerf sur la route) puis envoie ces ingrédients dans la farce afin de rendre les menaces et le macabre plus dérangeants, plus près de l'odieux et de l'ironie abjecte mais apprêtée. La mise en scène est remplie de bonnes idées sur les ambivalences et le cynisme autour de l'identité, notamment avec les domestiques, avec leur style de schizos en représentation, contraints et sarcastiques. Le spectateur entre en empathie grâce à la communication de ce sentiment d'aliénation, en train de se frayer un chemin vers la conscience ; les personnages en eux-mêmes, leur éventuel charisme, ne sont pas des leviers essentiels.


Si les idées ne sont pas poussées à bout, Get Out (pour lequel Jordan Peele mentionne Night of the Living Dead de Romero comme influence) pose au moins un diagnostic précis qui vaut mieux que des parti-pris. Il pointe la nocivité du black-friendly obstiné, pire qu'un black-bashing car malhonnête, court-circuitant les discussions et donc les confrontations comme la reconnaissance commune de l'objectivité. Get Out identifie, avec intuition plutôt qu'analyse, cette escroquerie majeure, inhérente aux progressismes et aux pacifications. Et cette 'vertueuse' arnaque ne se passe pas de masochisme ! Ni de préjugés, certes retournés : à un niveau drôlement pitoyable, à un degré mondain (au sens fort et étendu, sociétal), puis finalement à une extrémité qu'il ne faut pas spoiler (« Behold the coagula »). Get Out n'attaque pas sur le plan intermédiaire ; cette omission était sans doute la condition de son épanouissement, voire celle de sa naissance.


Outre les récupérations, Get Out pourra aussi nourrir la paranoïa à l'égard des blancs. Ceux du film représentent un 'establishment' sans être liés aux pouvoirs officiels. Ces blancs riches et cultivés sont en rupture avec la société, mais par le haut et par la 'réaction' sinon par les voies sulfureuses du passé. Ce sont des Henry de Lesquen résignés à la mode mais pas à la mort. Le gouvernement et les autorités légales ne subissent pas l'hostilité, ce qui pourra agacer les 'indigènes' ombrageux et les zélateurs du peuple sans tâche. Cette représentation s'accorde bien (mais passivement) avec celles des American Nightmare (dont le troisième opus a sombré dans la démagogie violente et l'autoritarisme 'bienveillant'), une des sagas phares de la maison de production commune, Blumhouse (responsable des Paranormal Activity & Insidious). Plus directement et peut-être consciemment, Get Out valide la confusion entre les clivages sociaux et ethniques, en tout cas dans son espace doublement étroit (car il ne prétend pas montrer la société dans son ensemble et tend au 'huis-clos' déguisé, où la détention est effective bien que jamais prononcée).


https://zogarok.wordpress.com/2017/05/30/get-out/

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le 30 mai 2017

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