Le grand public aime les grands hommes comme les super-héros, ce qui se vérifie en particulier quand ils chutent, et il aime aussi le cinéma arrangé comme on dit du rhum, sachant que la meilleure recette, c’est l’histoire vraie qui sert de prétexte scénaristique ou d’argument de vente. Dans le cas présent, la carrière de Manoj Nelliyattu Shyamalan, porté aux nues avec The sixth sense et voué aux gémonies après The village, est plus ou moins l’histoire d’un amour devenu haine, envers un cinéaste qui s’est moqué des spectateurs en abusant des retournements scénaristiques de fin d’histoire, et en avouant son incapacité à être un vrai conteur avec des navets comme Lady in the water. Mais tout ça, c’était avant Blumhouse et Split, qui ramène à Unbreakable moins par sa référence finale que par son succès, au point que les critiques sont allés jusqu’à oublier les défauts du paradoxe en parlant de « standalone sequel », alors qu’il s’agit seulement de faire maintenant ce que tout bon lecteur de comics appellerait un crossover, même si les spécialistes du classement en ont profité pour inventer l’étiquette « Eastrail 177 Trilogy ». L’idée de sortir des collants et de l’imagerie super-héroïque pour ancrer la fiction dans la réalité, surexploitée par Nolan et Netflix, reste intéressante si elle ne s’applique pas à des personnages définis par les univers cinématographiques ou leurs compléments, mais le risque est de revenir à des facilités de mise en scène et de scénario, en se contentant par exemple d’une explication psychiatrique à la place d’une mutation…


Ce qui différencie une bonne histoire de la même histoire quand elle est mal racontée, c’est souvent la variation au sens musical ou l’angle au sens sculptural, et Glass joue des deux en remplaçant l’Arkham Asylum par le Raven Hill Memorial tout en ravalant les super-héros au rang de malades mentaux. Si l’échelle de Mohs avait son équivalent au cinéma, le film se placerait assez haut, car il se range très vite dans la catégorie de ceux qu’on ne reverra pas comme on revoit un Marvel, par plaisir quand le plaisir tient de l’habitude ou d’un mode de consommation. Compte tenu ou non des bons moments de mise en scène, par exemple quand The Beast affronte des gardes derrière la tête du mastermind comme s’il en était sorti, ou des bons moments de la bande originale, par exemple ces nappes à connotation psychédélique qui tendent à ajouter une épaisseur onirique au réalisme, Glass est dur, et si la longue durée du métrage apparaît comme une norme pesante ou la confrérie anti-héroïque comme un truc idiot, la fin avant l’épilogue le place à l’opposé des franchises. Car il s’agit de questionner la place des super-héros tout en l’expliquant ou en donnant de quoi partager une explication, quitte à écarter la dichotomie entre bien et mal, et Mister Night se penche ainsi au chevet des spectateurs atteints de super-héroïte tout en mettant la dernière main à son Shyamalaniverse, comme on mettrait un point final aux MCU-DCEU ou du moins un point-virgule.


Pour public averti (et qui n’a pas vingt-quatre personnalités comme Kevin mais au moins deux s’il a aimé le dernier Avengers) : Glass (2019) de M. Night Shyamalan (avec Night pour Narcisse si l’on en croit le New York Magazine, mais qui a dit depuis des choses rassurantes à Libération : « j’aime travailler à des constructions patientes, (…) à des narrations que je pourrais qualifier d’inachevées, au sens où j’attends de vous une participation pour compléter le récit avec moi »), avec Bruce Willis (ou « Greedy Bruce » si l’on en croit Sylvester Stallone, mais il fallait quelqu’un comme lui pour ajouter du sous-texte) et des acteurs qui ont déjà joué pour M comme Marvel (James McAvoy et Samuel L. Jackson, qui ajoutent eux aussi du sous-texte en représentant respectivement le renouveau des X-Men et la naissance des Avengers)


Avis publié pour la première fois sur AstéroFulgure

Adelme
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le 16 janv. 2019

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