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En ces temps de crise où des choses éternelles comme l'institution du mariage ou encore la démocratie grecque semblent vaciller, c'est parfois bon de se raccrocher à des repères un peu moins corrects et resplendissants mais qui s'avèrent véritablement insubmersibles. Alors invoquons l'American Dream et Abel Ferrara.

Abel Ferrara, découvert par Friedkin, réalisateur de quelques épisodes de Miami Vice pour Mann, offrant des rôles en or à Walken, Keitel ou encore Gallo, fait aujourd'hui figure de bon vieux briscard. Vieux et même pratiquement enterré depuis le début des années 2000 durant lesquelles, en dépit de la fidélité des festivals de Cannes et de Venise pour son travail, on entendit peu parler des dernières œuvres de ce réalisateur qui, quelques années plus tôt, savait être l'une des principales attractions sur les tapis rouges qu'il arpentait avec Béatrice Dalle, Claudia Schiffer et des lunettes noires de rockstar. C'est d'ailleurs en 2007 que Go Go Tales fut présenté hors compétition à Cannes. Et puis plus rien concernant ce film : silence radio jusqu'au 8 février de cette année où la France bénéficie enfin d'une sortie en salle, en quasi-exclusivité mondiale puisque le film n'aurait à ce jour été exploité qu'au Portugal et aux Etats-Unis.

Le film relate une nuit au cœur d'une boîte de strip tease à New York, le Roy Ruby's Paradise, au début des années 90 — à une époque où Ferrara était au sommet du système avec The King of New York et Bad Lieutenant et où il fréquentait ce genre d'établissement, y croisant un DiCaprio alors assez gamin pour l'appeler « Mister Ferrara ». Le gérant Ray Ruby et Jay, son comptable espèrent qu'en misant massivement sur une grosse partie des combinaisons possibles du loto, ils empocheront les 18 millions de dollars dont une partie pourrait être consacrée à sauver le club de la faillite. Pendant ce temps, la gouailleuse propriétaire vient réclamer quatre mois de loyer et les gogo-danseuses menacent de ne plus travailler si elles ne touchent pas rapidement leurs salaires.
Go Go Tales est un film complètement inattendu de la part de Ferrara. C'est New York et c'est la nuit, on entend quelques répliques de gangsters et on a droit à une promesse sulfureuse — comprendre : des filles à poil — mais c'est une comédie. Unité de lieu, unité de temps et avalanche de personnages truculents à commencer par un Bob Hoskins tout feu tout flamme dans le rôle du Baron, mi-videur, mi-maître d'hôtel, aussi drôle que pathétique chaque fois qu'il tente de retenir ses clients. On pourrait même croire qu'il s'agit de l'adaptation d'un vaudeville tant le synopsis est léger et improbable : mais quoi qu'il en soit, on rit du spectacle de ce naufrage annoncé. Car au Paradise, c'est le chaos qui règne tant dans les coulisses, où il y a même un début d'incendie mettant littéralement le feu au cul d'une des filles, que sur scène où l'on laisse carte blanche au frère du patron, Johnie, un coiffeur péroxydé à la Warhol, qui n'a pas eu meilleure idée de numéro que de jouer un air au piano de poche avec son chihuahua en guise d'artiste pole dance.

Go Go Tales prend donc souvent les allures d'une blague sans importance... mais le film va un peu plus loin que ça. Car Ferrara est un mec entier qui ne se moque ni de ses personnages, ni de ses spectateurs. Sans jamais se prendre au sérieux, avec l'aide de vidéos de surveillance façon téléréalité cheap et en laissant flotter la caméra des shows indécents aux drames et bonheurs intimes, le tout pratiquement en temps réel, le film finit par révéler des rêves, quelques devoirs et des talents cachés sous les paillettes dont on orne les fesses et les poitrines mises en scène sous les lumières kitsch du cabaret. Derrière les ombres qui creusent les faces burrinées des gros bras et la légèreté qu'on prête aux filles, apparaissent alors des pépites d'humanité là où on ne les attendait pas vraiment. Au gré des performances d'acteurs qui ont chacun droit à leurs séquences de gloire — du lap dance déglingué d'Asia Argento à la chanson interprétée par un Willem Dafoe en mode crooner, en passant par l'arrivée tonitruante de Sylvia Miles dont la réplique servira même de refrain à un générique final on ne peut plus punchy —, Ferrara parvient à rendre palpable des rapports humains dont l'intensité ne se trouve qu'au sein d'une famille. Même si, légèreté oblige, le métrage n'arrive pas à atteindre la puissance émotionnelle du tragique Nos Funérailles.

Difficile de ne pas faire le rapprochement entre le Paradise, avec sa monnaie de singe omniprésente, ses femmes de caractères et ses piliers de bars tapageurs, auquel se cramponne le héros flambeur et baratineur, et la carrière d'un Ferrara qui continue de faire ses films tant bien que mal, avec de moins en moins de pognon et sans savoir s'ils seront exploités mais toujours avec une ribambelle d'acteurs de premier ordre pour répondre présent. Dans Go Go Tales, des jolies filles tenues éloignées des bistouris et quelques grandes gueules instillent une atmosphère qui n'est pas sans rappeler la poésie des bas-fonds chère à Bukowski. Alors pourvu qu'on attende moins longtemps la sortie de 4:44 Last Day on Earth, un film de science-fiction cette fois, mais quoi qu'il en soit Ferrara est bien de retour... Il refait même parler de lui dans les médias en proposant de tourner l'histoire de DSK starring Depardieu et Adjani.
Sloth
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le 23 févr. 2012

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