Envisagé d’abord sous la forme d’un documentaire et tourné dans le plus grand secret, le nouveau film de François Ozon revient sur l’affaire du Père Preynat et le scandale qui entacha le diocèse de Lyon à partir de 2014. Il évoque également la création de l’association La parole libérée par d’anciennes victimes abusées par Preynat, et se fait le portrait, fort et touchant, d’hommes qui se sont reconstruits comme ils ont pu face aux abus sexuels subis dans leur enfance, chacun à sa façon, chacun avec ses doutes et sa détermination. Le film n’est pas un pamphlet contre les institutions catholiques, c’est une œuvre de combat, de combats intimes et de combat nécessaire pour la vérité.


Si l’entreprise a évidemment le mérite de dénoncer, sans complaisance, les silences coupables de l’Église (et des parents aussi, souvent) face aux actes pédophiles répétés de plusieurs de ses subordonnés, elle peine en revanche à s’affranchir d’un schéma purement factuel. Le film reste très démonstratif, du moins dans sa première partie, avec une incessante passe d’arme de mails lus en voix off qui, il faut bien l’avouer, et au-delà de sa fonction à amorcer les évènements, devient rapidement rébarbative. On regarde Melvil Poupaud faire des allers-retours en train, écrire des mails, aller à la messe en famille, recevoir des mails, parlementer avec quelques instances religieuses, écrire des mails encore.


On ne peut d’ailleurs pas vraiment en vouloir à Ozon, celui-ci ayant une marge de manœuvre assez limitée due à l’exactitude des faits, les contraintes de la justice et les procédures en cours. Mais un sujet pareil empêchait-il toute autre proposition cinématographique, toute "sortie du cadre" ? Justifiait-il une telle distance qui, parfois, prend le pas sur l’émotion ? Le film s’anime davantage dans les deux autres parties (celles avec Denis Ménochet puis Swann Arlaud), apportant plus de sensibilité et d’élan, offrant une approche soudain moins austère dans le déroulement de l’histoire et l’écriture des personnages. Film-enquête irréprochable, mais comme figé dans l’exigence du propos, Grâce à Dieu marque surtout par l’ampleur du scandale (un autre parmi tant d’autres…) et la douleur toujours vive de ces hommes cherchant à oublier et, par-delà leur foi, à éventuellement pardonner.


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le 20 févr. 2019

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