Dans GUILTY OF ROMANCE, la vie et la mort ne cessent de s'entrechoquer pour que violence et passion en soient décuplées. Comme souvent chez Sion Sono, la poésie côtoie l'horreur, et l'amour s'assimile à une certaine démesure. Un excès qui n’existe qu’en apparence pour dévoiler derrière le vernis baroque de ses images, des émotions brutes ; les plus profondes et viscérales. Dans GUILTY OF ROMANCE, Sion Sono déballe tout son bagage de poète et compose une œuvre aussi forte que nihiliste sur la condition de la femme japonaise.


Sion Sono donne corps à son ode féministe et enferme son héroïne dans une critique sociale à la beauté éminemment tragique. Izumi, d’abord assujettie à ses devoirs domestiques, s’émancipera au travers d’un éveil à la sexualité : vendeuse en supermarché, elle exhibe des saucisses symboliques – grossissant au fur et à mesure de son éclosion – qui amorceront chez elle une recherche du désir. Elle acceptera alors le reflet de son corps et ira jusqu’au bout pour le révéler et se découvrir elle-même : chercher sa place, sa différence, dans un monde qui confine les êtres dans des normes préétablies, telle est l’impulsion originelle qui anime ce GUILTY OF ROMANCE où les corps valsent et se libèrent. Izumi gagne alors avec son corps le droit d'être libre et retrouve son désir en se donnant aux autres. Sion Sono interroge le regard et canalise ainsi toute la frustration de la société japonaise, coincée entre ses pulsions et la sauvegarde des apparences. Terrible est le mot. Encore faut-il en trouver le sens.


Ici, les « femmes libérées » cherchent un château kafkaïen qui n'existe que dans une forme d'idéal : il est cet horizon flou, cette liberté retrouvée, le symbole d’une perte de repères et d’une perte de soi. Le jour et la nuit luttent entre convenances et émancipation, entre le superficiel et l'authentique émotion, entre apparences et désillusion. La « libération » de son héroïne prendrait ainsi presque la forme d’un conte fantastique (les actrices vampirisent littéralement l’écran) où la transformation nocturne conduirait à une revisite singulière de Jekyll & Hyde ; du règne conservateur de la « pantoufle » aux cabines de douche colorées des Love Hotels tokyoïtes. Derrière ces couleurs de stupre, Sion Sono orchestre une tragédie bien plus sulfureuse encore : d’une claustration à une autre, la libération n’est jamais totale. Aucune romance ici-bas, simplement de la culpabilité, de la mélancolie et une plongée presque aveugle dans l’obscurité. Mais dans cette œuvre aussi érotique que morbide, la lumière finit toujours par nous transpercer.


« La signification du mot est son corps ». Jamais la formule n’avait été si bien incarnée à l’écran. Dans les échanges de regards et sur les corps malmenés, GUILTY OF ROMANCE est cette élégie baroque où les espaces de couleurs se rencontrent dans une étreinte aussi violente que passionnée. Visconti n'est jamais loin dans cette œuvre qui opère une variation – symphonique – de son Mort à Venise : du désir qui enferme ses personnages à cette innocence retrouvée, GUILTY OF ROMANCE détourne l’Adagietto de Mahler (qui a dit malheur ?), bouleversante mélodie qui, sur les images de Sion Sono, se mue en quelque chose d'immense, de lyrique et de tragique. Film racoleur ? Loin de là. Les jambes écartées, la tragédie nous ébranle, nous éviscère, nous décompose et sa paradoxale beauté arrive à faire couler quelques-unes de nos larmes. Pour finir sur un visage, un sourire et la puissance inégalée d’une mélodie ; résonnant avec l'image figée d'Il était une fois en Amérique et de son Noodles perdu dans la fumée d'un souvenir. Je m’immobilise alors dans les larmes procurées par cette sublime poésie.


Critique à lire également sur mon Blog
Extrait dans l'article "Les 100 films à retenir des années 2010"

Créée

le 3 févr. 2020

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blacktide

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