Hamlet
7.4
Hamlet

Film de Laurence Olivier (1948)

Si l’on s’interroge sur l’adaptation du théâtre au cinéma, Laurence Olivier est probablement le meilleur marchepied possible : homme de théâtre, très familier de l’univers de Shakespeare, il officie sur une période (les années 40) où le cinéma a certes pris son envol, mais durant laquelle l’autorité de l'esthétique dramatique reste prégnante. On pourra ainsi voir ce film, qu’il réalise lui-même suite aux refus successifs d’un bon nombre de réalisateurs avérés, comme une transition idéale, qui garde encore puissante la dimension littéraire du texte tout en s’emparant du nouveau médium qu’offre la caméra.


Les concessions sont évidemment nombreuses : réduit à 2h30, le récit souffre de nombreuses coupes, et les décors naturels restent souvent à l’état de toiles peintes en arrière-plan. La déclamation fait encore autorité, et le jeu des comédiens n’est pas toujours entièrement convaincant. Laurence Olivier lui-même, dans le rôle-titre, n’est pas dans sa meilleure performance, et sa maturité (41 ans) tranche avec la jeunesse de ses partenaires (sa mère est ainsi interprétée par une comédienne de 30 ans) et les minauderies assez irritantes de Jean Simmons.


Le temps d’adaptation est donc nécessaire, mais se révélera mérité pour un récit qui ne cesse de gagner en ampleur sur sa durée. La grande réussite de son esthétique passe par la gestion des décors : la plupart du temps en intérieurs, le film s’appesantit longuement sur un château colossal aux multiples alcôves et aux dimensions démesurées. Coursives, tentures, embrasures, forment les cachettes idéales d’une pièce où le paraitre, le mensonge et la conspiration ne quittent jamais le devant de la scène. Lors d’interludes assez impressionnants, la caméra parcourt ainsi cette masse minérale qui bruisse de mille émotions, et aménage des espaces où se perdent des silhouettes trop menues pour les enjeux qui les broient, ou, au contraire, matérialise de véritables scènes en abyme pour que se joue la comédie du pouvoir et de la vengeance.


Solennel, spectaculaire, riche de multiples figurants qui viennent régulièrement souligner en fanfares et trompettes le début d’une comédie, d’un duel ou de funérailles, le film trouve dans cette dynamique un souffle proprement cinématographique : les mouvements d’appareil isolent les personnages, magnifient leur présence, ou découpent avec précision les différents ressorts de l’intrigue entre le premier plan de la représentation et les coulisses des pièges, des trahisons. La scène finale concentre ainsi toute cette vigueur, alternant vues d’ensemble du combat et gros plans sur Gertrude et sa coupe de vin, avant une procession funéraire en ascension sur ces marches qui auront structuré la majeure partie des scènes, dans une recherche visuelle qui semble clairement avoir inspiré Orson Welles pour sa majestueuse ouverture d’Othello trois ans plus tard. Le constat est clair : de toutes les qualités de cette adaptation, les plus manifestes sont indéniablement celles que l’on doit au septième art.

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le 15 mars 2021

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Sergent_Pepper

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