Ballet de mascarade à la florentine

La recette avait tout pour plaire : une jeune pousse, vigoureuse, délicate et envoûtante, alliée à un morceau paradoxalement fondant comme amer, d’où un contraste des saveurs à vous faire tourner la tête, chose à laquelle un délectable nappage rougeâtre, doux et épicé, complétait ce chef d’œuvre culinaire.


Alors forcément, impossible de ne pas se pourlécher les babines à l’idée d’en reprendre une portion : malheureusement, la tournée du Chef Demme n’est plus, fichtre, quelle désillusion ! Mais coup de tonnerre : le maestro Scott (Ridley de son prénom) passa par-là, et que dire que ce bougre de cuistot talentueux y décelait un challenge à sa pleine mesure. En effet, une silencieuse d’agneau réussie n’est pas à la portée de tous, loin s’en faut, aussi la tambouille tant rêvée n’était pas garantie.


Et puis voilà que ce diable de britannique parle de la revisiter, disant s’inspirer d’une seconde (ou troisième) édition d’un certain Harris, auteur d’une saga de formules gastronomiques liées par la même thématique de l’orgasme frissonnant… tout en subtilité. Soit, la base restant la même, les compétences du gus couplées au potentiel vertigineux de la nouveauté se posaient comme une promesse alléchante : toutefois, plus de jeune pousse sous la main, tandis que cette fabuleuse viande pourrait avoir perdu de son ambivalente tendresse au fil du temps… signes avant-coureurs d’une désillusion en bonne et due forme ?


Qu’à cela ne tienne, pas de place au pessimiste pour Scott : la barbaque demeure une pièce noble, or il paraît que les meilleures tendent à se bonifier avec l’âge (à moins que ce ne soit le pinard… mais il n’est pas sûr) ; quant à la composante verdoyante, celui-ci a semble-t-il trouvé chaussure à son pied avec une fleur rousse élégante, imposant tout en finesse une force faisant état de son implicite robustesse. L’association laissant ainsi entrevoir un résultat des plus aguicheurs, il ne restait plus qu’à assaisonner le tout avec justesse.


Bref, voilà que Ridley débarque de la cuisine tout content, le plat dans les bras : d’emblée, un détail dénote, à savoir qu’un semblant de bouillasse grisâtre nous accueille en faisant une grosse mine… quelle affiche décevante ! Néanmoins, ne nous arrêtons pas à un simple pré-visuel, ce qui compte c’est le goût après tout : mais malheur, la première bouchée est une catastrophe, celle-ci tenant du ballet lourdingue tel un déluge de plomb, au point de nous faire penser que le père Scott a été un poil trop confiant.


Bon, j’aurai volontiers poursuivi ainsi la métaphore culinaire, mais qu’il est délicat de tout traduire de la sorte, surtout quand il y a tant à dire : d’abord, l’introduction portée par Barney et le mystérieux estropié se pose comme une mise en bouche intrigante, le corps ravagé de ce dernier accroissant d’entrée de jeu l’aura morbide de Lecter. Malgré cela, le title dégueulasse (je mâche mes mots), puis le gunfight s’ensuivant viennent brusquement botter le fessier de nos espérances : cette séquence musclée est d’autant plus décevante que l’exécution y est franchement médiocre, car truffées de ralentis et autres cuts vilains… Ridley quoi, pas toi !


Passe encore que le design de Verger ait assez mal vieilli, mais ce premier écart de mise en scène (pas le dernier) nous saute à la gorge à tel point que l’on reconsidère bien vite le potentiel du long-métrage : certes, Hannibal n’avait pas la prétention de marcher avec précision sur les pas du Silence des Agneaux, bien au contraire, mais la constitution d’une nouvelle identité, notamment attenante à une atmosphère plus grandiloquente, méritait un tant soit peu de doigté.


Ici, rien de tel, le tableau particulier de Florence, gage d’un environnement immersif et d’une BO très marquée, ne transpirant que de manière occultée : la faute peut-être à un récit s’entachant de facilités scénaristiques agaçantes (Starling victime d’un bashing grossier, un ressort des plus téléphonés), d’un fil rouge à la prévisibilité chronique (de la prise de risque inconsidérée au destin funeste de Pazzi) à l’écriture hasardeuse des personnages (c’est peut-être anodin, mais le volte-face ridiculement drôle de Cordell en est un bon exemple, tandis que la nature archétypale à souhait de Krendler en est grotesque) il y a un bel éventail de choix.


L’autre point épineux concerne les apports respectifs du duo principal, ainsi que du traitement en découlant : Julianne Moore ne réitère pas la performance de Jodie Foster (qui a franchement bien fait de décliner l’offre), notamment pour ce qui est de susciter l’attachement du spectateur (le mien tout du moins), quant à Anthony Hopkins difficile de ne pas reconnaître une relative perte d’aura... les affres du temps certainement. Mais si le constat demeure négatif en l’état, les effets de la comparaison avec Le Silence des Agneaux ne sauraient être occultés, d’où une seconde justification d’ordre scénaristique : l’alchimie entre les deux protagonistes, non retrouvé en l’état, tient notamment d’un récit ayant le cul entre deux chaises, les allers-retours entre les USA et l’Italie amoindrissant en ce sens la substance les liant.


Le dernier quart du long-métrage est alors hautement révélateur, celui-ci semblant se retrouver nez à nez avec la faible teneur de son emblématique tandem : s’ensuit donc la conclusion de la vengeance de Verger, cruellement ironique (si ce n’est horrifiante), puis les fameuses retrouvailles, dont l’on ressort avec un drôle d’arrière-goût. Nul doute que ce dîner aux chandelles aura fait parler de lui, et il faut bien lui reconnaître une tonalité abracadabrante rehaussant le mythe de Lecter, ce soupçon de fascination pour cette dégustation macabre agissant enfin en « bien » sur l’expérience de visionnage : néanmoins, au delà de cette démonstration osée, cette revisite évidente du conte La Belle et La Bête est victime des précédents errements de Hannibal, celui-ci étant bien en peine pour faire honneur à l’ambivalence géniale développée chez Demme.


Pour autant, et voici venu le temps de conclure, doit-on blâmer le film de Ridley Scott de ne pas marcher sur les pas du Silence des Agneaux ? Si l’on peut naturellement lui reprocher ses nombreux accès de facilités, une galerie de protagonistes quelque peu creuse et une atmosphère clairement moins prenante, il en ressort tout de même une évolution louable : à la froideur poisseuse du « premier » opus, le contexte latin remuant de Florence sert de support à un ballet sciemment grandiloquent, comme si ces airs de grande farce (tel le dîner final) avaient été de bout en bout délibérés.


Comme le dira finalement Lecter, il est important de toujours essayer de nouvelles choses : une manière de justifier indirectement le parti-pris de Hannibal, bien que celui-ci s’entache de malheureuses lourdeurs. Une expérience désappointante mais nécessaire en somme.

NiERONiMO
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le 28 avr. 2017

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