Pour tout bon cinéphile qui se respecte, il est toujours embêtant d’entendre dire des « Quoi, tu ne l’as pas vu ? » ou autres « Tu as forcément vu ce film culte ! » : c’est en tout cas un fait familier en ce qui me concerne. Mais qui peut prétendre avoir visionné des années et des années de pellicules, quand le carcan de notre existence terrestre suppose d’emblée de consentir à quelques sacrifices ? Et puis comme le dit si bien l’adage, « Mieux vaut tard que jamais »… à moins que ce ne soit « Toute expérience est bonne à prendre », comme pourrait le susurrer un anthropophage avide de partager son savoir à son auditoire dubitatif.


Que de tergiversations pour dire, en somme, qu’il était grand temps de me mettre sous la dent (que de fines métaphores) le plat de résistance (encore, oui) au menu de Hannibal Lecter (la recette cinématographique tout du moins) : porté par Jonathan Demme, un gus que je ne connaissais ni Demme ni d’Adam (j’abuse, d’autant que je n’ai effectivement pas vu Philadelphia), Le Silence des Agneaux valait-il sa réputation de thriller haut de gamme, à juste titre auréolé de cinq oscars (et pas des moindres) ?


Petite mise en bouche : c’est effectivement génial. La chose m’a notamment frappé, et cela me semblait pourtant évident bien avant ce stade, avec une telle force que j’en restais estomaqué, hurlant au génie de ce psychiatre morbidement astucieux : cette façon de fausser compagnie à ses geôliers, en piètre état pour certains, ne faisait alors qu’illustrer le brio latent comme patent de ce protagoniste sinistrement charismatique, car animé par un Anthony Hopkins embrassant avec une ferveur subtile son plus grand rôle (a priori).


Parler du succès du Silence des Agneaux ne saurait être fait sans aborder le cas de son illustre interprète, dont la performance lui vaudra l’oscar du meilleur acteur pour seulement une petite vingtaine de minutes de présence à l’écran. Le fait est qu’il ne lui en fallait guère plus, le natif britannique accouchant d’une prestation délivrant le grand frisson de bout en long : de sa première apparition, pétrifiante d’immobilité, à ses ultimes paroles, d’un délice presque inavouable, difficile de passer outre une telle aura, dont le masque de bienséance à la diction parfaite contraste savoureusement avec son versant primaire, sauvage et si saisissant.


Et puis, comment parler d’une telle réussite sans aborder son adversaire de cœur, j’ai nommé Clarice Starling ? Avec l’oscar de la meilleure actrice à la clé, Jodie Foster trouvait là l’un de ses rôles majeurs, si ce n’est le plus emblématique, à la faveur d’une jeune stagiaire du FBI brillante : d’une volonté avérée, mais non moins truffée de failles que s’amusera à décortiquer son « partenaire » d’enquête, la relation ambivalente qu’elle nouera avec ce dernier n’illustre que trop bien les contours tortueux d’un récit captivant.


Sur ce point, Le Silence des Agneaux fait pourtant mine de reprendre un schéma narratif rappelant le contexte de Dragon Rouge, mais le fait est que la réalisation de Demme et son casting fantastique s’arquent à merveille autour d’une intrigue faussement copier/coller : d’autant plus, la relation Starling/Lecter diffère quelque peu, et se pose comme un vecteur d’attachement malsain quant au devenir de l’inquiétant psychiatre… dont on observe avec un air coupable les plus basses paroles/actions.


De façon plus formelle, l’empreinte viscéralement froide, poisseuse et pesante de l’univers invoqué par le cas Buffalo Bill souligne une sobriété de mise en scène d’une minutie chirurgicale : alors parfaitement associée à l’excellente BO de Howard Shore, ce nouveau gage d’attrait au visionnage vient contrebalancer (à merveille) les éléments de redite scénaristique évoqués.


Cette nouvelle consultation de Lecter à propos d’un insaisissable serial-killer (qui n’est d’ailleurs pas sans rappeler le Dragon Rouge du remarquable Tom Noonan) fait tout de même écho au précédent film de Michael Mann, mais quand bien même : si on les met en parallèle, seul l’ambiguë Francis Dollarhyde parvient à tenir la comparaison tant le Silence des Agneaux cumule avec efficience atmosphère trouble, réal’ de taille, intrigue prenante et rebondissements bienvenus, ou encore une galerie de seconds rôle (emmenés par un Scott Glenn impressionnant) irréprochable.


On pourrait toutefois y trouver naturellement à redire, notamment en ce qui concerne quelques choix un peu douteux lorgnant du côté de la grosse ficelle (mais usée à bon escient, un peu comme la lourdeur caricaturale de Chilton) : à l’image du « duel » final, empreint d’une bravoure suicidaire tenant de la folie, ou encore de la « Cage » de Memphis, dont la surveillance laissait clairement à désirer. Mais le fait est que ces petits écueils accouchant respectivement de séquences cultes à n’en pas douter, difficile de jeter la pierre à ce Silence des Agneaux, décidément solide de bout en bout.


Bref, les qualificatifs mélioratifs ne manquent pas pour rendre hommage à ce thriller délectable, dont la cerise sur le gâteau tient peut-être en son sous-texte, celui-ci nous dépeignant sans fioritures les obstacles innombrables que peut receler pareil monde… misogyne : à l’attention d’une héroïne ayant tout à prouver vis-à-vis des clins d’œil malhabiles, les regards à la dérobée, les attentes d’un mentor tout en retenu (cette dernière poignée de main, bien vu Docteur)… et l’examen patient d’un prédateur redéfinissant à lui seul les frontières du genre.

NiERONiMO
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le 20 avr. 2017

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