L'arrière d'un pick-up. Un visage...
Heli se découvre sur une violence muette, sobre et figée dans cette première scène implacable et immédiatement dérangeante de simplicité. Pas d’artifices. Pas d’hésitations de la part des bourreaux. Justement dosée, on devine l’inévitable à l’apparition de ce pont piétonnier inutile pour traverser une route si étroite. Bienvenue au Mexique, son sable chaud, sa pauvreté, sa guerre contre la drogue, sa violence repoussante et ses dommages collatéraux…
Heli relate avec un attachement fort au réel, le quotidien de cette famille prise dans un déferlement d’horreur suite à une erreur lourde de conséquences. Le film ne prend pas le nom de son personnage principal mais de celui qui se fera le relais de cette violence sinueuse, née de la frustration, de l’angoisse, de la colère et de la vengeance.
Amat Escalante filme sans concessions le douloureux renversement de vies modestes fauchées par la situation d’un pays en guerre contre lui-même. Tout en retenue, en pudeur, les personnages nous communiquent une espèce de léthargie rebutante au travers de leurs journées, comme si rien ne les animait vraiment. Parfois drôles à leur insu, ils suivent leur chemin, sans enthousiasme, sans écarts et, lorsque tout s’enchaîne, on en revient brusquement, dérangé, le souffle coupé, à la violence de l’introduction.
Les actes sont directs, les paroles inutiles. L’horreur ne s’encombre pas d’ornements. Elle se déverse en un flot rapide d’agressivité et d’intimidation jusqu’à atteindre une scène de torture lente, dure, et perpétrée par de simples citoyens. Et en quelques minutes, on traverse tous les rouages d’un pays gangréné à travers ces bourreaux anonymes, simples habitants que l’on devine payés par une police, elle-même soudoyées par les cartels. L’ellipse est faite. On est au début, secoué. On a déjà vu pire mais sans filtre, tout semble plus odieux.
De là, les images crues s’éloignent et l’angoisse de l’absence arrive. Le quotidien antérieur aux événements n’est plus possible. Pas de retours en arrière. Comment continuer à avancer ? Grâce à une enquête policière improbable ? Grâce à ses inspecteurs désincarnés ? Grâce à vos proches ?
Heli dépeint le Mexique sans filtre à travers le fléau du trafic de drogue. On est très loin d’un Sicario et l’aspect documentaire nous abandonne presque vidé sur le bord de notre canapé. Heli est une réalité dure à digérer qui nous confronte à ce que l’être humain peut/doit endurer et à ce dont il est capable. Et lorsque le générique de fin arrive, même si pour nous, il n’y a besoin que d’une télécommande pour couper court à cela, on reste avec le sentiment que cet écran de télé n’est qu’une fenêtre sur laquelle on vient de fermer les volets. Quelque part, en Amérique centrale, les personnages brisés continueront de survivre avec les conséquences démesurées de ces dommages collatéraux. Et si c’est là la volonté d’Escalante, même sans nous captiver pleinement sur le moment, alors Heli remplit parfaitement son contrat.