Mais quel dommage, mais quel dommage... le synopsis et la bande annonce d'Hérédité laissaient pourtant présager un film s'emparant de la très complexe thématique de la famille, des drames qui s'y jouent et rejouent parfois continuellement, promettant de la traiter sur un mode anxiogène qui irait questionner l'idée d'un certain déterminisme, et donc d'une tragédie certaine qui aurait été, j'en suis persuadé, d'une délicieuse cinégénie.

Il n'en est malheureusement rien tant le scénario est pétaradant, foisonnant, laissant bien vite de côté quelques (très) bonnes idées de départ pour s'abandonner à des vices formalistes, seulement empruntés aux classique du genre. Ari Aster s'amuse de la même façon que la mère de famille agence ses petits bonshommes dans ses maquettes pendant tout le film. Il agit comme ce Dieu ou cette présence spirituelle, qu'on ne sait pas s'il est maléfique ou non, et applique aux personnages des trajectoires tout à fait abstraites et arbitraires. Traiter de la folie, de la démence, et de son caractère héréditaire (ce qui apparaissait initialement comme le sujet du film à mon sens) ne donne pas le droit au scénario de se dérouler de manière arbitraire. Ici, les scènes, horrifiques ou non, s'enchainent les unes aux autres, sans qu'on comprenne la nécessité pour le récit d'avancer, ni quelle conséquence une scène a sur la ou les suivante(s). Cela occasionne des réactions, des comportements qui m'ont semblé tout à fait incompréhensibles, ou nécessitant en tous cas une analyse tellement poussive qu'elle parasite la vision de l'oeuvre.

On tombe dans un gouffre où mille portes, milles pistes sont ouvertes et attrapées, sans jamais être complètement traitées. Est ce un film sur l'hérédité donc ? sur la possession ? sur une secte ? sur la démence ? Non pas que ces choses ne soient pas imbricables dans l'absolu, mais leur traitement est dans Hérédité tellement décousu qu'il nous est impossible de mettre le doigt sur une véritable tension qui traverse le film et qui aurait promis de nous retourner les tripes.

En soi, le fait de ne pas donner de clés au spectateur n'est pas forcément gênant, tant que cela ne relève pas de la paresse narrative, ce qui est selon moi absolument le cas ici.
Il est donc question d'une famille qui suite à la disparition de la mère du personnage principal, Annie, voit sa situation mentale (et physique) se dégrader. Le premier plan du film appelle pourtant à considérer ce qui se trame d'un point de vue intéressant : on pénètre dans une maquette de maison, maquette dans laquelle va se jouer la première scène. Ce motif, très prometteur sur le papier, ouvre la porte à une lecture considérant plusieurs niveaux de réalité. Soit... est ce que tout ce qu'il se passe est de l'ordre d'une puissance supérieure ? Ou s'agit il d'une manifestation de la folie naissante d'Annie ? S'il n'y avait que cette question à résoudre, on s'en sortirait encore, nombreux sont les films qui choisissent de laisser la porte ouverte, bien qu'à mon sens il s'agit souvent d'une incapacité du scénariste à véritablement choisir. Mais tant de questions sont posées puis évacuées, tant de détails insignifiants sont posés là sans qu'ils parviennent à finalement dépeindre l'esquisse d'une situation claire, d'une tension... Pour ne rien arranger, je dirais qu'un des problèmes principaux du film tient à ses nombreux changements de point de vue, qui éclatent complètement la progression d'un récit, et ce qui invalide presque totalement l'hypothèse (séduisante pourtant) d'une sorte de décompensation collective exclusivement vécue via le prisme de la mère de famille.

Un bouquet de caprices donc, un arbitraire destructeur pour le récit, qui ne souffre donc d'aucune tension, oubliant d'ailleurs de traiter de l'essence même de cette famille que l'on observe se détruire sans qu'on comprenne vraiment pourquoi, tant les masques peinent à tomber. Ce n'est qu'à la toute fin qu'une parodie de dénouement vient plaquer une explication rocambolesque et tout à fait incomplète sur ce collier de pâtes que constitue la trame.

Pas grand chose à dire sur la réalisation, ni sur le jeu et la direction d’acteur qui offrent de beaux moments d’incarnation, malheureusement orphelins. C'est d'ailleurs par cette mise en scène très léchée qu'on perçoit ce qui semble être l'essence de ce qui animait le réalisateur : des envies formelles; une tentation horrifique presque uniquement fondée sur une plastique. Mais enlevons au film l'étrangeté de la petite fille, enlevons la musique angoissante, il ne reste vraiment pas grand chose tant tout le reste est évanescent.

Il ne me reste qu'à vous conseiller de jeter un oeil à l'une des productions d'Aster précédant Hérédité, The strange thing about the Johnsons, un valeureux court métrage qui attrape là quelque chose de plus essentiel, et de plus simple, aussi.

Bistouyou
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le 1 juil. 2018

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