La condition du peuple natif américain est, dans l'Amérique contemporaine, intrinsèquement liée au génocide perpétré par les colons venus d'Europe afin de conquérir l'Ouest sauvage. Minée par de lourds problèmes d'alcoolisme et de chômage, la communauté amérindienne se retrouve aujourd'hui cantonnée aux limites des réserves naturelles qui lui sont allouées, faisant d'elle une ethnie en voie de disparition.
Si l'attente d'un film sur la reconnaissance de leur génocide a été plus ou moins comblée par des réussites critiques telles que Danse Avec les Loups (1990), les exemples ratés qui dépeignent une nation indienne à la va-vite sont au contraire légion, comme en témoigne le très vide de sens Wind River (avec Jéjé Renner le super-ranger) sorti l'année dernière.


Mais la reconnaissance par une ethnie des crimes commis sur une autre ne serait rien sans un cheminement mental qui mène au pardon, à l'acceptation.
Hostiles se charge de cette mission d'une délicatesse absolue et s'en charge magnifiquement bien. Par le biais du voyage, par le biais de l'humanisme, sans jamais être manichéen, sans jamais porter de jugement définitif.


La route vers le Montana révèle son lot d'émotions. Comme le dit le chef Yellow Hawk, "à chercher le serpent à sonnette, on le trouve. Mais celui-ci mord".


I. Hostilité


Savoir qui de l’œuf ou de la poule est apparu en premier lieu peut relever du mystère. Cette formule souvent employée afin de décrire une situation dont on ne connait pas l'élément déclencheur ne s'applique pas à l'histoire des natifs américains. Dépouillés de leurs terres lors de la conquête de l'Ouest, il ne reste plus déjà en 1892 où le film est situé, que les vestiges de cette civilisation, parquée ou traquée par l'armée de l'Union. Le génocide a déjà eu lieu, les Cheyenne comptent leurs derniers représentants, les Commanche dont le nom signifie "en guerre avec tous" (merci Hell or High Water/Commancheria, David McKenzie) font office de derniers résistants. Dans tout les cas, l'Union va sortir vainqueur et la puissance des Etats Unis telle qu'on la perçoit aujourd'hui puise son origine même dans la fin de cette conquête.


A cette période donc, l'antagonisme entre les différentes ethnies est à son paroxysme, donnant lieu à un des personnages rudes et un film très dur, presque éprouvant moralement.


Le premier tour de force est, et cela en découle, de parvenir à représenter cet antagonisme sans outrance ni jugement pour qui que ce soit. La scène d'ouverture, magnifique, puis la suivante, posent le contexte et le constat que des atrocités sont commises au sein des deux camps.


Si l'homme blanc prive de sa dignité le natif, le retient prisonnier, ce dernier tente au contraire par une violence aveugle, de protéger ce qu'il reste de ses terres.


C'est dans ce paysage magnifique au demeurant, filmé entre le Nouveau Mexique et le Colorado que Scott Cooper le réalisateur et Masanobu Takayanagi à la photographie vont nous proposer un instantané d'humanité commençant par une défiance et une haine enfuie.
Ce soldat décoré et son escouade, pions dans une guerre ponctuée de massacres auxquels sont faits des références discrètes mais éloquentes doivent escorter leur ennemi intime, chef indien mourant ainsi que sa famille sur ses terres d'origines afin d'y trouver une mort paisible.
Par le biais de ce postulat, le cheminement vers l'acceptation d'autrui peut se mettre en place car renier cette dernière faveur au vieil homme pour le soldat, c'est également renier son honneur et une forme de paix dans ses derniers soupirs.


En chemin, ils croiseront une femme (Rosamund Pike). Forte. Hostile aux natifs car détruite. Détruite et pourtant toujours dans la foi. Et si les premières centaines de kilomètres sont ponctués de tensions sous jacentes voire même de dégoût, la survie collective va rapprocher ces êtres brisés auxquels Scott Cooper offre un échappatoire par le voyage, le dernier pour certains.


Dans un film ou chaque poignée de main ou au revoir fait quasiment office d'adieu, les relations qui unissent les personnages prennent la tournure de progression vers un respect mutuel. Les différences et barrières (de langue, culturelles, religieuses) qui les opposaient il y a un instant deviennent leur force pour affronter la route.
Et tandis que la confiance se gagne par la bonté, la solidarité ou la bravoure sans que le film ne se montre didactique à outrance, Hostiles dévoile son message le plus beau. C'est à ce moment que l'on comprend que l'on vit un grand moment de cinéma.


II. Acceptation


Nombreuses furent les batailles, sanglants furent les massacres. Souvent décrits, imaginés, mis en scène directement à l'écran, rien ne présume à une réconciliation sans efforts. Ainsi, les légendes qui circulent sur le personnage de Christian Bale, à nouveau dans un investissement complet pour ce rôle, ses compagnons ou sur le vieux chef sont sanglantes. Très vite cependant, le film va s'affranchir de ce passé pour être porteur d'un message d'avenir universel car trouvant son écho par les temps actuels.
Par la négation du statut de légende que l'on prête au Capitaine Joe Blocker ("il parait que tu as scalpé plus d'indiens que Sitting Bull" lui assène t-on), par l'effacement progressif de la sauvagerie d'apparence des natifs, présumés coupables de massacres abominables, réduits à l'état de prisonniers depuis sept ans au moment du film, le rapprochement peut avoir lieu.


Et rien de plus beau que de la sincérité dans le cinéma d'aujourd'hui. A l'heure de relations banales et aseptisées souvent portées à l'écran, Cooper, également à l'écriture, délivre une oeuvre d'une pudeur et d'une justesse magnifique.
Le voyage vers le respect et l'acceptation ne passe pas par le grand spectacle et le sauvetage de peau des faibles par les héros, non. Tout cela passe par des dialogues simples mais profonds, délivrés par des hommes et femmes qui portent en eux l'introspection d'individus détruits par le conflit entre les deux peuples avec des références bien senties à des conflits historiques marquants (la bataille de Wounded Knee en 1890 par exemple). Le recul nécessaire sur la situation dont ils peuvent se targuer tranche d'autant plus avec les discours d'autres personnages du film qui par leur extrémisme dans un sens ou dans l'autre, sont montrés comme plus futiles.


La mesure est nécessaire, le pardon aussi. Mais l'hostilité subsiste toujours car présente partout sur ces terres sauvages. Pas de bons, pas de totalement mauvais. Pas d'ennemis ou d'alliés véritables, chacun porte en soi son fardeau et chaque opinion émise est contrebalancée par son contraire ou sa nuance, comme pour dire qu'une fois l’œuf ou la poule apparus, il est déjà trop tard pour enrayer l'évolution.


"You're no angel yourself" : toi non plus, tu n'es pas un ange Joe Blocker. C'est précisément cela le sens de Hostiles. Malgré les épreuves de chacun, démontrer de la manière la plus sincère qu'il soit qu'envers et contre tout, une réconciliation est possible si elle passe par le pardon et la reconnaissance de ses erreurs.


Ce voyage est magnifique, techniquement, musicalement (merci Max Richter, The Leftovers) comme narrativement. Depuis The Revenant d'Inarritu, aucun western ne m'aura autant emporté. Après coup, il faut se rendre compte que le film de Cooper est doté d'un fond d'une extrême dureté couplée à une très grande sagesse. Comme ce vieux chef indien, comme cette femme brisée qui accepte autrui, comme ce vieux soldat qui s'agenouille en toute humilité pour reconnaître ses crimes devant son vieil ennemi.


Un bien beau message pour un très grand western.

Ol-Pao
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le 21 mars 2018

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Ol Pao

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