Le biographe était sous héroïne

Sans crier gare, Huit et demi frappe d'emblée par la beauté de sa photographie, faite de noir et blancs très expressifs mais aussi d'une maîtrise de la composition graphique et de la lumière à couper le souffle. Fellini possède indéniablement un oeil particulier qu'il associe à un sens inné du mouvement pour faire de sa mise en scène une leçon de modernité. Défiant quiconque le découvre aujourd'hui, de traiter ce film qui a bientôt 50 ans, de vieille pellicule dépassée. Tout y est, visuellement, virtuose de maîtrise, un cadeau venu du passé pour les amateurs en herbe de belles images qui, comme moi, se décident enfin à laisser une chance à cette oeuvre précédée d'une solide réputation. Le moins qu'on puisse dire, c'est qu'elle n'est pas usurpée, sa mise en scène seule vaut tous les éloges que l'on peut lire à son propos.

Au sein de cette leçon de savoir-faire naviguent des personnalités marquantes du cinéma italien qui se donnent corps et âme pour illustrer, souvent dans l'allégresse, le propos pourtant presque dépressif de Fellini. Son illustration de son propre métier, de ses peurs les plus profondes, peuvent paraître un brin nombrilistes, voir prétentieuses -pauvre homme et ses malheurs !- mais il parvient à garder suffisamment de recul pour ne pas rendre son sujet trop misérabiliste. Ses questionnements s'invitent à l'image sous diverses formes, oniriques parfois, symboliques, souvent, qui se prêtent toutes au jeu de l'expérimentation. Car Huit et demi est une expérimentation visuelle et narrative constante, faite par un homme qui, à un moment donné de sa vie (le passage de la quarantaine en l’occurrence) se pose pour faire le bilan de sa vie et de son métier, en s'aidant de cette image qu'il sait modeler.

C'est pourquoi dans Huit et demi se bousculent à l'écran, sans réelle logique, trames de vie réelles et interrogations, voir fantasmes illusoires, sans toutefois jamais être délimitées dans l'image par un procédé quelconque. Fellini ne dresse en effet aucune frontière dans sa mise en scène pour différencier vécu et pensée de son alter ego, qui peuvent même s'enchaîner au sein de la même séquence. Dès lors, la mise en abîme qu'il dresse sur son métier et sa vie personnelle est totale autant qu'elle est vaporeuse, bien malin qui saura faire la différence entre blessure réelle et symbolique fantasmée.

Au sortir d'un film aussi dense que Huit et demi, on se repose les yeux un peu décontenancé. Subjugué par sa forme, qui près de 50 ans plus tard, semble encore résolument moderne (ce passage magnifique dans les bains qui se finit avec l’évêque, que l'on découvre par une fenêtre à bascule pour le quitter de la même façon un peu plus tard), on peut toutefois se sentir perdu et pas forcément passionné par le sujet qui y est traité. Ce fut mon cas, je n'ai pas spécialement ressenti d'empathie pour tous les personnages en présence et j'ai traversé le film, impressionné, et c'est un euphémisme, par sa maîtrise formelle et narrative, mais suis resté un peu froid devant son propos. Affaire de vécu, sans doute, il sera peut être temps de mettre à jour cet avis dans une dizaine d'années, qui sait. Pour le moment, même s'il est motivé par un respect immense, il est juste agrémenté d'un soupçon de retenue !
oso
9
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le 12 juil. 2014

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oso

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