"On connait les gagnants à l'avance" : voilà ce que dit Noodles à Moe lorsqu'ils se revoient de nombreuses années après s'être quittés, à propos de la soeur de ce dernier dont il apprend qu'elle est devenue une star. Cette formule s'applique également au film dont elle est issue, tant dès les premières minutes on sent que le film sera grandiose.


"Il était une fois en Amérique" est de loin l'oeuvre la plus réussie du triptyque qu'elle forme avec "Il était une fois dans l'Ouest" et "Il était une fois la révolution". Mieux, c'est sans doute le film le plus abouti de Sergio Leone, auquel il aura consacré les dernières années de sa vie. "Il était une fois en Amérique" est un de ces films dont on ne ressort pas indemne après l'avoir vu. Il a sa place au panthéon des oeuvres cinématographiques majeures du XXème siècle. Oeuvre intemporelle qui a marqué une génération, elle continuera à faire parler d'elle pendant encore de nombreuses années.


Comment un film au rythme aussi lent peut-il nous prendre à ce point aux tripes pendant 3h49 sans jamais nous ennuyer une seule seconde ? Le génie de Sergio Leone y est pour beaucoup, tout comme la musique d'Ennio Morricone, envoûtante : il n'est donc pas étonnant que le thème principal nous trotte encore dans la tête après avoir visionné le film, tant il est réussi et accompagne à point nommé les moments les plus importants du scénario.


Oui, le rythme est lent, et cela peut en gêner certains, car l'intrigue met un peu de temps à se mettre en place. D'autant que le thème de l'attente est omniprésent dans le film : un ascenseur qui n'en finit pas de monter, un téléphone qui n'arrête pas de sonner, le bain de Peggy interminable pour Patsy... On peut également mentionner la longue attente avant la sortie de prison, bien que celle-ci soit uniquement suggérée. Le film aime donc prendre son temps mais ce n'est jamais gênant, bien au contraire. En effet, il y a tellement de détails à admirer dans le film qu'un rythme plus rapide nous aurait fait manquer des choses essentielles. On pense notamment à ces plans sublimes, en particulier ceux du quartier juif de Manhattan qui brûle d'authenticité (bien que les scènes aient été tournées à Brooklyn), et qui viennent nous rappeler à quel point New York est une ville cinégénique. Cet amour de l'esthétisme transparaît dans chaque scène du film, bien aidé, je le répète, par un accompagnement musical de grande qualité porté par un Ennio Morricone au sommet de son art. La reprise de Yesterday des Beatles est d'ailleurs sublime et arrive à nous émouvoir à peine 20 minutes après le début du film, accompagnant la transition d'une époque à une autre dans la gare, endroit clé et charnière dans le scénario du film.


Le génie cinématographique de Leone transparaît d'ailleurs dans ces scènes de passage entre les époques : une fois, ce sera une sonnerie de téléphone qui durera le temps de la transition, à un autre moment le trou dans le mur par lequel Noodles espionne la fille dont il est follement amoureux servira à relier deux périodes de sa vie. On sent que le réalisateur s'amuse avec ce genre de détails, ce qui donne un formidable résultat à l'écran.


Le choix de relater trois époques distinctes de la vie de Noodles et Max (l'enfance, l'âge adulte et la vieillesse) et ce, de manière non linéaire, est à mon sens la meilleure idée du film, tant chaque période de la vie des héros a son intérêt et est racontée avec justesse. La durée du film permet de donner une véritable profondeur à l'ensemble des personnages principaux, qui conservent toute leur cohérence à travers le temps. En témoigne la phrase moqueuse que Deborah s'amuse à répéter à Noodles avec beaucoup de malice lorsqu'ils sont adultes, longtemps après l'avoir prononcée pour la première fois : "ta maman t'appelle", lorsque Max attend sur Noodles.


Le film est avant tout une très belle histoire d'amitié. La période de l'adolescence nous permet de voir la naissance de cette amitié entre deux garçons très malins qui ont déjà un souci avec l'autorité. D'un côté, Max, le leader ambitieux et sans scrupule et de l'autre un Noodles plus effacé mais dont l'impulsivité et la violence extrême dont il est parfois capable lui coûteront cher. Leur complicité se renforce face à l'adversité et aux diverses épreuves qu'ils vont traverser ensemble, mais finira pas être mise à mal par leurs divergences d'opinions. Il ne faut pas oublier les trois autres larrons de la bande, Patsy, Cockeye et Moe, avec qui ils conclueront un pacte qui aura des répercussions dans la dernière partie du film. Il est impossible de rester insensible devant la fraternité et la loyauté qui unit ces cinq bonhommes. La scène mythique de la baignade en voiture prouve que l'insouciance provoquée par une telle complicité peut perdurer à l'âge adulte.


Mais il ne faut pas réduire ce film à une histoire d'amitié. Plein d'autres thèmes sont abordés : la sexualité (sa découverte mais également le viol), l'amour, la religion, le communautarisme et bien sûr le gangstérisme. Et c'est là la grande force du film : il est d'une richesse incroyable et il y en a donc pour tous les goûts. Tantôt un film sur l'adolescence, tantôt un film de mafia, tantôt une romance : "Il était une fois en Amérique" est en réalité un drame inclassable, tant il emprunte à tous les genres. L'humour est même parfois présent, comme dans la scène où Joe Pesci fait une apparition et celle se déroulant à la maternité. La naïveté et l'insouciance de la bande lorsqu'ils sont adolescents prêtent également à sourire, en particulier lorsque l'un d'entre eux ne peut s'empêcher de manger la pâtisserie qui était censée lui permettre d'obtenir une belle récompense s'il l'offrait à Peggy.


James Woods, l'interprète de Max, déborde de charisme et tient là le rôle de sa vie. De Niro est également excellent, dans un registre qu'il aura par la suite l'habitude d'interpréter (Les Affranchis, Casino). La vengeance anime ce personnage pendant une bonne partie du film, sauf à la fin, preuve qu'il a su tirer les leçons de ses erreurs passées et qu'il souhaite définitivement rentrer dans le rang.
La rupture entre les deux s'accentuera au fur et à mesure du film, de manière crescendo, jusqu'au twist final.


Le film s'achève comme il a commencé, dans un salon d'opium, avec un De Niro détendu, qui semble avoir enfin trouvé le calme.


Nous aussi, spectateurs, pouvons nous détendre : après avoir vu ce film, on peut mourir tranquille (enfin, le plus tard possible quand même).

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le 9 déc. 2016

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Albiche

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