L’histoire de la genèse de « Il était une fois en Amérique », le dernier et plus ambitieux projet de Sergio Leone, est aussi longue – et pas loin d’être aussi épique – que le film lui-même. Après le succès de la "trilogie du dollar", Leone commence à sonder les studios de production américains avec un nouveau projet. Ceux-ci n’acceptent alors de le financer qu’à condition qu’il tourne un autre western, genre qui a fait sa renommée. La suite est connue. En 1968, Leone signe l’un des plus grands westerns de l’histoire avec « Il était une fois dans l’ouest » et réalise une parenthèse mexicaine avec « Il était une fois la révolution », en 1971 : ces œuvres feront partie d’une seconde trilogie.


« Il était une fois en Amérique » est inspiré des écrits du gangster Harry Grey ; les droits d’adaptation de son livre semi-autobiographique, « The Hoods », furent finalement acquis par Leone en 1976. Après avoir travaillé sur un scénario de trois-cent pages, auditionné des centaines de comédiens, et reconstruit des décors monumentaux à la Cinecitta, le réalisateur débute le tournage le 14 juin 1982 et l’achève le 22 avril 1983.


L’œuvre de Leone est une immense fresque centrée sur la vie et les tribulations de David Aaronson, dit "Noodles", dans la grande métropole de New York. Projet ambitieux et exhaustif, le film couvre trois périodes charnières vécues par le personnage, s’étendant sur presque cinquante ans. La chronologie de « Il était une fois en Amérique » est non linéaire, aussi passe-t-on aisément d’une époque à une autre.


Dans les années 1920, Noodles est un petit voyou sans envergure du quartier juif de Lower East Side, Manhattan. Sa vie se partage entre de maigres trafics, auxquels il s’adonne avec ses copains Patsy, Cockeye et Dominic, et la lecture – dans les toilettes de son immeuble. Comme tout adolescent, Noodles connait aussi ses premiers émois sentimentaux, entre la beauté éthérée de la jeune danseuse Deborah, qu’il épie en cachette et les charmes plus terrestres de sa voisine Peggy. La vie de Noodles va changer lorsqu’il rencontre un garçon plus âgé à l’esprit vif : Max.


En 1932, alors que la Prohibition bat son plein, nous retrouvons l’équipe au complet, grandie, expérimentée et enrichie. De petites frappes, les garçons sont devenus des gangsters craints et respectés dont l’efficacité n’est plus à faire. Menée par Max, la bande navigue en eaux troubles, et côtoie les personnalités du milieu : parrains de la mafia italienne, hommes politiques véreux et syndicalistes en colère. C’est une période faste pour ces jeunes hommes qui mènent la belle vie, heureux et insouciants. Mais, malheureusement, tout a une fin.


Trente-cinq ans après, c’est un Noodles vieilli qui revient à New York. La ville a bien changé, et le petit ghetto juif de son enfance semble noyé dans les nouveaux immeubles qui ont poussé un peu partout. Plus lent, plus calme – plus sage, aussi – Noodles retrouve les lieux qui ont marqué ses jeunes années, mais il n’y reste que souvenirs et mélancolie.


L’œuvre de Leone est puissante, magistrale. D’une durée exceptionnellement longue (3h49 dans sa version la plus courante), le film s’attache à conter l’épopée d’une bande de gangsters. La narration traverse les époques et développe une foule de personnages secondaires qui ont, à un moment donné, interagi avec ces protagonistes. En outre, la beauté de l’image et des décors offre un magnifique écrin à ce bijou de cinéma.


Chaque époque est dépeinte avec le même soin, une combinaison parfaite d’ambiances somptueuses, de personnages vivants et bien écrits et de péripéties passionnantes. Avec une précision d’orfèvre, Leone nous fait voyager entre les périodes de l’histoire, les transitions sont lisses et le film se déroule avec une grande fluidité. L’une des grandes forces de l’œuvre, c’est de réussir à maintenir à la fois un niveau de qualité incroyable quel que soit le moment traité, tout en donnant à ceux-ci une atmosphère, des thèmes et des enjeux distincts. Ainsi, l’on n’a jamais l’impression de revoir les mêmes scènes, et chaque séquence possède une ambiance unique.


Lorsque l’on suit les pérégrinations des garçons dans les années 20, l’accent est mis sur la constitution de la bande, et les débuts de l’amitié puissante qui va les unir. C’est le temps de l’insouciance, ils incarnent une jeunesse fougueuse et impétueuse, qui sifflote gaiement alors qu’ils commettent leurs premiers méfaits. Ce récit initiatique s’interrompt brutalement avec l’irruption dans ce quasi conte de fées idyllique d’une figure menaçante et dangereuse. La tragédie est alors ce qui conclut cette période, et les emmène à l’âge adulte. Dans les années 30, les enjeux sont devenus plus graves, plus matures. Si les enfants ont grandi, ils n’ont que peu gagné en sagesse et expérience. C’est une période d’excès, où toutes les frustrations mènent à un déferlement de violence – un peu à l’image de cette Prohibition, qui, loin d’anéantir le commerce de spiritueux, fait prospérer les gangsters. Sans morale ni limite, l’on pille, l’on tue et l’on viole à tour de bras ; seule une chose demeure encore sacrée : cette amitié qu’il vaut chérir et préserver par-dessus tout.


Si l’histoire du film est passionnante, formellement, l’œuvre de Sergio Leone est une réussite éblouissante à tous points de vue. Ses décors pharaoniques, des reconstitutions minutieuses du New York des années 20 et 30, fourmillent de détails et immergent immédiatement le spectateur dans l’ambiance de l’époque. La photographie est sobre et léchée : chaque plan est magnifique et certaines scènes époustouflantes constituent autant de tableaux inoubliables. Enfin, il faut le souligner, la partition d’Ennio Morricone, si indissociable des œuvres de son compère Leone, est une fois de plus, presque parfaite. Le maître signe ici peut-être la meilleure bande son de son illustre carrière, un accompagnement musical fantastique, véritable extension de l’atmosphère et de l’émotion qui règnent à chaque période.


Il convient également de rendre justice à l’ensemble des comédiens pour leurs prestations. L’étape du choix des acteurs fut exceptionnellement longue – en particulier pour le rôle de Max – et Leone auditionna des centaines de candidats. Le résultat est à la hauteur de ses attentes. Les deux rôles principaux, incarnés par Robert De Niro et James Woods, sont vraiment impressionnants, et jouent à la perfection sur l’opposition de style entre Noodles, l’homme de la rue, et Max, l’ambitieux. Là où l’un est réservé, l’autre est un séducteur. Le bougon bourru, et le leader charismatique. Le raté, et celui qui a réussi.
Les autres acteurs sont globalement bons, il n’y a pas vraiment de fausse note et le casting est, dans son ensemble, très sérieux. Il est intéressant de noter l’effort fait sur la recherche des acteurs enfants dont la ressemblance avec leurs rôles adultes est parfois frappante. Le film marque d’ailleurs le premier rôle au cinéma de la belle Jennifer Connelly (et, Dieu merci, elle ne s’est pas transformée en Elizabeth McGovern en grandissant).


Avec une durée aussi imposante, le film est forcément d’une grande richesse aussi bien sur le fond que sur la forme. Outre le thème de l’amitié, central tout au long du métrage, l’accent est également mis sur la frustration et l’échec, qui pèsent sur le personnage de Noodles. Toujours tiraillé entre deux mondes, celui-ci ne semble capable que de faire les mauvais choix et s’enferme dans une spirale destructrice. L’on pourra noter une récurrence de l’association du protagoniste aux portes – le plus souvent closes – qui illustrent ce cloisonnement dans un cercle vicieux. La dernière partie aborde aussi le thème de l’apparence, et de l’hypocrisie – toujours, à mon avis, dans le cadre de la relation d’amitié. C’est cette fois-ci Deborah qui est exploitée en ce sens ; ses séquences incorporent souvent des glaces et autres miroirs.


Enfin, l’atmosphère de la séquence de 1968 constitue le tour de force de Leone. Accompagnée des plus extraordinaires morceaux de la partition de Morricone, elle nous plonge entiers dans la mélancolie et le regret les plus profonds. Au fond, « Il était une fois en Amérique », c’est le voyage, l’épopée épique de quatre gangsters, mais, avant tout, quatre amis chers. Nous la voyons par les yeux de Noodles, qui est un loser : il a raté sa vie, et il le sait. Comment ne pas être ému, lorsque nous le voyons ôter la brique descellée qui lui permettait d’épier Deborah ? Comment ne pas être touché, malgré ses défauts et ses torts, lorsqu’il fait face une dernière fois à ceux qui ont le plus compté pour lui ? Comment ne pas être bouleversé, enfin, après ce final grandiose, où Noodles trouve enfin la paix. Il ne lui reste que des souvenirs, mais ceux-ci ne s’effaceront jamais.
Je ne sais pas pour vous, mais moi j’ai les larmes aux yeux dès que j’entends les premières notes de la musique d’Ennio Morricone, j’ai l’impression que ces presque quatre heures filent d'une traite, et j’aurai envie que le film ne se termine jamais.

Aramis
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le 30 juil. 2015

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