Premier long métrage philippin sélectionné au Festival de Cannes lors de la Quinzaine des réalisateurs en 1978, Insiang poursuit la peinture sans concession par Lino Brocka de la société philippine sous la dictature de Ferdinand Marcos. Nouvelle plongée dans les bas-fonds de Manille, ce réquisitoire à charge, envers la situation désastreuse qui existe dans les quartiers pauvres de la capitale, prend la forme d'un mélodrame familiale et de l'affrontement entre une mère tyrannique et sa fille.
Portrait d'une jeune femme en lutte pour sa survie au cœur d'un quartier défavorisé, Insiang décrit un monde régit par la violence physique et sociale. Lino Brocka marque les esprits par sa volonté de montrer la perte d'humanité de ces hommes et de ces femmes dans cet environnement surpeuplé et extrêmement pauvre. Filmé sans misérabilisme, tourné en seulement onze jours, le cinéaste livre un long métrage dont la forme s'inspire irrémédiablement de l'urgence du néoréalisme italien. A l'instar d'un Akira Kurosawa qui dans Chien enragé (1949) posait un regard critique sur la société japonaise d'après-guerre, le cinéaste pose sa caméra dans les quartiers insalubres de Manille. Sous le canevas mélodramatique traditionnel philippin, Insiang s'inscrit dès lors comme un brûlot sans concession, une tragique histoire de famille dont les protagonistes finiront brisés par ce bidonville abattoir des âmes (le film s'ouvre sur les images d'un véritable abattoir en guise d'avertissement).
Récit pessimiste où les espoirs d'émancipation de son héroïne se retrouvent confronter à la bassesse des hommes, de la lâcheté de son petit ami Bebot à l'ignominie de Dado, Insiang se caractérise par son amère conclusion. Tandis que le sort du jeune Júlio dans Manille se terminait tragiquement dans une allée de la capitale, Insiang n'a d'autres solutions pour survivre que de remettre en cause sa moralité afin de se venger, au risque de perdre le reste de son humanité. Sans surprise, cette histoire immorale révélatrice de la misère sociale des habitants des bidonvilles fut censurée par le pouvoir philippin.
Interprétée par la muse de Lino Brocka, la belle et émouvante Hilda Koronel, Insiang confortait en 1976 la position engagée du cinéaste, lui ouvrant deux ans plus tard les portes d'une reconnaissance mondiale méritée.
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