Avec Interstellar, Christopher Nolan décloisonne son cinéma, casse les barrières de l’intellectualisation froide de ses derniers scripts (Inception) habituellement surplombés par sa logorrhée explicative, pour aller cette fois ci dans des contrées à l'imaginaire scientifique émouvant. La Terre va mal, l’atmosphère ne permet plus la vitalité de la vie humaine, les denrées se feront rares, même inexistantes. Dans le secret le plus total, la NASA va envoyer dans l’espace un de ses anciens pilotes (Cooper) et quelques-uns de ses scientifiques pour essayer de trouver une nouvelle terre d’adoption pour l’espèce humaine ou au pire bâtir une nouvelle colonie. Est-ce que la Terre est la seule planète de prédilection pour les humains ? La verbalisation des enjeux chez Nolan est toujours de mise, mais d’une manière assez ludique quoiqu’un peu longuette, tout en permettant de rendre le jargon scientifique beaucoup plus compréhensible et captivant par bien des égards.

Pourtant, Christopher Nolan est un doux rêveur, il a une ambition humble et toute simple : celle de laisser le sort de l’humanité dans les mains l’intime, dans les petites paumes de ce qui fait de nous des êtres humains où le temps prendra une toute autre définition et dimension. Le film aura cette brillante idée, comme dans Inception, de stratifier la temporalité en fonction des lieux, ce qui donnera vie à une scène terrassante d’émotions quand une partie de l’équipage se retrouvera après « 23 ans » de distance. Se reposant toujours sur son sens graphique majestueux, sombre et glacé, avec une déshumanisation prépondérante et un univers spatial léché et parfois flamboyant, avec une planète Terre poussiéreuse, un trou noir infini, des planètes stellaires faites d’eaux ou de glace, le réalisateur américain envahira son œuvre d’une émotion qui dépasse les notions de relativité et de gravité.

C’est un dangereux revirement que soumet Nolan à son cinéma, car entre émotion subtile et sentimentalisme dégoulinant, il n’y a qu’un pas. Pourtant, Nolan semble franchir le pas mais il est difficile de lui en vouloir devant une telle générosité, un tel amour pour certains de ses personnages, une envie presque indéfinissable de croire en l’humain et ses possibilités. Malgré les chiffres, les équations aux multiples inconnues, les variations de données, les calculs de probabilités, Christopher Nolan fait de l’amour son cheval de bataille et nous prend par la main pour le suivre dans son épopée spatiale aux multiples mystères et rebondissements. D’ailleurs, Cooper ressemble à d’anciens personnages de Nolan ; Borden et Angier: un homme passionné, habité, qui se dévoue à son œuvre.

Pourtant, au contraire de l’œuvre « Le Prestige », l’amour de Cooper pour sa famille le transcendera. De ce fait, la personnalité narrative du réalisateur est présente, avec son style lourdement appuyé fait de grosses ficelles et parfois grandiloquent (cette musique omniprésente de Hans Zimmer) mais dont le sens du rythme et du montage éclaté permet une osmose et une fluidité incessante entre scène SF et terrestre dans des séquences au suspense haletant. Au niveau de son décorum d’anticipation, Christopher Nolan a d’excellentes petites trouvailles à commencer notamment par ses robots androïdes, intelligences artificielles au design et à la caractérisation blufflante, qui seront là pour accompagner l’équipage dans sa mission et même apporter une petite touche d’humour.

Avec Interstellar, Christopher Nolan ne met pas en scène simplement des scientifiques arc boutés sur leurs missions mais des individus qui répondront de leurs missions par leurs émotions, ce qui les guide vers l’humanité et leurs chemins de croix. L’amour d’une fille pour son père, celui d’un père pour sa fille. Rien de plus banal mais Christopher Nolan arrive à s’en accommoder pour faire de ce lien intemporel et stratosphérique, une relation en « 5 dimensions », un dialogue interstellaire inoubliable.
Velvetman
8
Écrit par

Créée

le 5 nov. 2014

Critique lue 6.7K fois

103 j'aime

5 commentaires

Velvetman

Écrit par

Critique lue 6.7K fois

103
5

D'autres avis sur Interstellar

Interstellar
Samu-L
8

Rage against the dying of the light.

Un grand film, pour moi, c'est un film qui m'empêche de dormir. Un film qui ne s'évapore pas, qui reste, qui continue à mijoter sous mon crâne épais, qui hante mon esprit. Le genre de film qui vous...

le 6 nov. 2014

428 j'aime

72

Interstellar
blig
10

Tous les chemins mènent à l'Homme

Malgré ce que j'entends dire ou lis sur le site ou ailleurs, à savoir que les comparaisons avec 2001 : L'Odyssée de l'Espace sont illégitimes et n'ont pas lieu d'être, le spectre de Kubrick...

Par

le 28 févr. 2015

329 j'aime

83

Interstellar
guyness
4

Tes désirs sont désordres

Christopher navigue un peu seul, loin au-dessus d’une marée basse qui, en se retirant, laisse la grise grève exposer les carcasses de vieux crabes comme Michael Bay ou les étoiles de mers mortes de...

le 12 nov. 2014

296 j'aime

141

Du même critique

The Neon Demon
Velvetman
8

Cannibal beauty

Un film. Deux notions. La beauté et la mort. Avec Nicolas Winding Refn et The Neon Demon, la consonance cinématographique est révélatrice d’une emphase parfaite entre un auteur et son art. Qui de...

le 23 mai 2016

276 j'aime

13

Premier Contact
Velvetman
8

Le lexique du temps

Les nouveaux visages du cinéma Hollywoodien se mettent subitement à la science-fiction. Cela devient-il un passage obligé ou est-ce un environnement propice à la création, au développement des...

le 10 déc. 2016

260 j'aime

19

Star Wars - Le Réveil de la Force
Velvetman
5

La nostalgie des étoiles

Le marasme est là, le nouveau Star Wars vient de prendre place dans nos salles obscures, tel un Destroyer qui viendrait affaiblir l’éclat d’une planète. Les sabres, les X Wing, les pouvoirs, la...

le 20 déc. 2015

208 j'aime

21