S'il existe des films se savourant mieux à la seconde vision, je dirais que Interstellar est le candidat idéal tant il déploie une fibre sensible, une mise en scène, et des qualités scénaristiques tout simplement vertigineuses une fois qu'on a réassemblé les pièces. Et pourtant c'est un film qui est toujours sur le fil, jouant avec une naïveté relative dans les ressorts narratifs, particulièrement dans le dernier tiers avec cette théorie du trou noir qui en aura offusqué plus d'un alors qu'au fond ça colle parfaitement avec le reste (on pourra reprocher bien des choses à Nolan mais il est rarement attaquable au niveau de la cohérence globale de ses scénarios et de l'imbriquement de ses thématiques), et c'est même un moment particulièrement touchant... Et puis bon, il serait dommage de laisser obscurcir tout le reste du film sous l'ombre de ce petit tour de passe-passe vu ce qu'il a à offrir par ailleurs. Selon moi, l'un des plus beaux récits d'anticipation et d'aventure humaine spatiale depuis belle lurette.
Et pour cause, avec un tel propos désespéré de fin d'un monde en train de voir ses rêves dépérir au gré de la disparition de ses champs d'agriculture, je n'avais pas assisté à un background aussi pessimiste et criant de vérité dans le genre depuis Les fils de l'homme. Et surtout, par la suite, avec ce constat d'échec(s) (thématique récurrente de Nolan) se révélant petit à petit, valorisé par un habile montage mettant en balance la terre et l'espace, la fille et le père, la famille et la survie du monde, selon une équation qui dépasse bien souvent les mesures scientifiques. À chaque instant on ressent le travail scientifique réalisé en amont pour rendre le tout crédible sans pour autant nous noyer dans les concepts, à l'image de cette fameuse bibliothèque pourtant largement décriée, alors qu'elle fait totalement sens. Quant à moi, je viserais plutôt le final tant il réduit l'impact émotionnel d'une réplique qui constitue le fil rouge du film, réduisant les parents à des «souvenirs» ou des relais pour leurs progénitures. Aller jusqu'au bout de la fatalité entourant le personnage de Cooper irait dans ce sens (d'ailleurs c'était l'idée de départ du frère de Christopher, qui en a décidé autrement). Mais en même temps, la proposition retenue est tout à fait logique et même plutôt glaçante vu ce qui s'ensuit. Clairement, on nous offre ici une vision optimiste et humaniste des potentialités humaines, mais en renvoyant Cooper dans les cieux, on est loin du conte rose, quand bien même «l'amour» continue à guider ses pas.
On retrouve donc la froideur typique de Nolan, mais l'émotion répond aussi présent et ça on le doit avant tout au casting impliqué et à la manière dont les concepts scientifiques et les personnages sont mis à mal, fragilisés et enrichis au contact de la réalité (même les intelligences artificielles, qui ressemblent pourtant à des grille-pains sur pattes, paraissent attachantes, notamment grâce à leur filtre humoristique). Seul le personnage de Damon semble un peu trop écrit et fonctionnel par rapport aux autres, mais il sert à merveille le récit en enfonçant le clou de la déception et du mensonge. Encore une fois, Insterstellar a de quoi étonner, dans le bon sens : Blockbuster au propos intimiste et familial, anti-spectaculaire sur bien des aspects au point qu'on en oublierait presque la réalisation, alors qu'elle est hyper réfléchie et immersive (elle devient proprement incroyable dans l'espace, avec ce sentiment de solitude et d'écrasement à la manière de 2001 Odyssée de l'espace qu'on parvient à nous transmettre). Bref, un film certes parfois maladroit dans sa «logique» de concilier l'irrationnel et la science (je pense évidemment à ce foutu paradoxe temporel), alors que ça se tenait plutôt bien dans les deux premiers tiers, mais par ailleurs si beau (et brillamment contrasté comme je l'ai souligné) et puissant dans le geste et l'exécution, si profondément humain et incarné (superbes acteurs encore une fois), que ça passe comme crème. Selon moi, le meilleur Nolan depuis Le Prestige avec lequel il partage d'ailleurs bien des qualités.