Le spoiler est un peu présent, mais le film est bien assez prévisible pour que cela ne nuise pas à sa découverte.
Ip Man, connu pour être le mentor de Bruce Lee, a eu droit à quelques films comme The Grandmaster de Wong Kar-Wai. Ceci est le dernier opus de la série de Wilson Yip, qui a fait des actioners bien vénères mais qui me laissaient souvent froid par leurs scripts et leurs personnages. Pour son dernier tour de piste Ip Man, découvrant son cancer, se rend aux USA pour trouver une école pour son fils rebelle et se heurte (encore) à de méchants occidentaux.
Je n'ai pas vu les précédents films en dehors du Wong Kar-Wai mais je connais un peu le personnage, et de toute façon l'intrigue est calquée sur pas mal de Bruce Lee qui opposent des chinois opprimés à de méchants blancs ou japonais racistes qui veulent démontrer la supériorité du karaté sur leur kung-fu, avec un héros moins énervé. Bruce Lee qui a d'ailleurs droit à une poignée d'apparitions sous les traits de Danny Kwok-Kwan Chan, dont une scène d'action totalement gratuite en guise de petit plaisir pour les fans du Petit Dragon. Le scénario n'est donc pas ce qui va surprendre le connaisseur qui se dira qu'il a déjà vu ce film ailleurs (et je dis ça sans même avoir vu les 3 précédents volets), la question de l'ouverture du kung-fu aux étrangers aurait pu ouvrir des pistes de réflexion mais elle est vite oubliée. Cependant l'intrigue se laisse suivre, entre autres grâce à une sympathique galerie de seconds rôles et un Donnie Yen toujours au top dans le rôle-titre.
Là où j'ai été surpris c'est par la réalisation bien classy. On est totalement dans un San Francisco toc mais c'est comme les parcs d'attractions quand on est gosse, on sait que ce que l'on visite est factice mais le charme opère parce que c'est du chouette factice. La lumière, l'ambiance feutrée, le décor de Chinatown, c'est vraiment beau à parcourir, avec un montage zen qui est pile ce qu'on attend d'un personnage doté d'une telle force tranquille. Quand je me rappelle Flashpoint de Wilson Yip, on n'était pas du tout dans la même idée de délicatesse qui apporte un charme certain à ce dernier épisode, sans le rendre trop auteurisant pour un public venu pour profiter d'un peu de castagne.
Les séquences d'action ont des chorégraphies correctes pour du kung-fu chinois, elles n’impressionneront pas les habitués mais elles font le travail. Les ficelles dramatiques sont sur-utilisées mais les affrontements bénéficient d'une belle montée en puissance grâce notamment à la formidable musique de Kenji Kawai, et assister à ça sur grand écran est trop rare pour ne pas se sentir un peu touché de voir Ip Man rendre sa dignité aux autres personnages (malgré la lourdeur du manichéisme). Je ne suis pas capable de bien évaluer les performances martiales des acteurs mais le spectacle, s'il manque d'originalité et s'avère trop transparent dans sa progression dramatique, est fort bien mis en valeur. Là encore le montage aéré profite aux chorégraphies et à la philosophie affichée du kung-fu.
En revanche si je peux pardonner beaucoup de choses au scénario, il y a deux éléments que je trouve fort regrettables. D'abord il est vraiment dommage que Ip Man soit le seul personnage à avoir le droit de se distinguer au combat à part Bruce Lee. Il est le héros désigné, c'est donc à lui de sauver tout le monde alors que certains seconds couteaux auraient vraiment mérité d'avoir leur moment de gloire. Cela gêne notamment pour le climax qui l'oppose au méchant joué par Scott Adkins, parce que même si ce dernier sait se rendre détestable pour que l'on souhaite la victoire du vieux professeur, c'est littéralement la première fois qu'ils se rencontrent et ils n'ont donc aucun passif entre eux, aucune rancune à régler. Ce n'est qu'un match retour par procuration, or c'est pour moi le match initial qui aurait dû servir de climax, c'est celui là qui portait tous les enjeux. Mais il fallait absolument que ce soit Ip Man et personne d'autre qui triomphe, ce qui est bien triste vu que ce sont d'autres personnages qui ont des conflits personnels à régler.
Le 2e point ennuyeux c'est que le film est un chant du cygne pour la tétralogie, mais seulement à la fin. On sait que Ip Man a un cancer et qu'on n'aura plus de suite, mais cela n'irrigue pas vraiment le film. On a en fil rouge sa relation conflictuelle avec son fils, mais ça ne va pas très loin et l'intrigue principale est déconnectée de cette préoccupation crépusculaire. Il aide ses compatriotes dans ce film comme il les aurait probablement aidé (et l'a sûrement déjà fait) en n'importe quelle autre période de sa vie. En revanche la fin réussit ses adieux. Elle use de procédés très faciles mais elle rappelle de belle manière l'utilisation du cinéma comme outil d'immortalisation. Cette caméra que l'on voit régulièrement dans le film trouve son sens avec ce soucis de laisser une trace pour quand on ne pourra plus le faire.
Ip Man 4 ne retournera pas la tête des mordus d'arts martiaux, mais même sans avoir vu les 3 précédents les néophytes peuvent s'y essayer car il se montre très accessible. Il ne souffre pas de séquences comiques lourdingues comme d'autres, ne se montre pas renfermé sur lui-même comme pouvait l'être The Grandmaster avec ses vieux pratiquants élitistes, il avance à bon rythme et peut plaire aussi bien à des amateurs d'action qu'à un spectateur plus posé, bien qu'il manque d'étincelle pour les deux publics. C'est un travail simplement bon, mais assez carré pour faire plaisir et me porter plus que je ne l'aurai cru dans l'envie de soutenir le brave Donnie Yen.