Par sa mise en scène ou la construction de ses personnages, It Follows affiche une réalisation typique du cinéma indépendant US. Il recevra donc les louanges ou les critiques habituelles, c'est-à-dire ou bien un film épuré et intelligent ou bien une œuvre prétentieuse et esthétisante. En tout cas nous voilà devant un film d'horreur pour lequel les personnages compte plus que le déroulement de l'histoire. Ce n'est pas courant mais ce n'est pas original pour autant. On respecte ainsi scrupuleusement le schéma classique : découverte du danger, déni, acceptation puis enfin affrontement du danger jusqu'à la victoire ou la défaite. Cela permet depuis toujours de coller un sous-texte à tout film d'horreur qui ne se conçoit pas seulement comme une histoire effrayante. Aucune raison donc de s'en priver.


Et les codes étant connus il convient de les manipuler au mieux afin de surprendre le spectateur. Et ça le réalisateur l'a bien compris avec un prologue - fort réussi - qui nous expose directement au danger histoire de nous dire : "voilà ce que tu devras surveiller, spectateur." Et toute sa mise en scène avec ses plans larges (forcément naturalistes) et ses hors-champs y concourent. J'ai accepté sans peine le défi d'autant que le bougre s'y connait en matière de mise en scène et en détournement de clichés horrifiques. Peu d’esbroufe même si on peut légitimement s'agacer de sa lenteur volontaire qu'on sait être brisée par avance. Pour ma part ce qui m'a dérangé c'est plus ce côté amorphe des personnages qui se contentent d'attendre puis d'avancer alors qu'ils devraient réfléchir à 100 à l'heure et établir les plans les plus fous. Mais cette approche rationnelle qui est la mienne n'est évidemment pas la bonne car dans ce monde d'ados (les adultes sont absents) on veut aussi nous montrer cet envers du décor : l'ennui.


Si je trouve que la forme sert très bien le récit, du point de vue horrifique il y a quelques jumpscare bien placés mais néanmoins sans grandes utilités narratives. J'avais l'impression qu'on me les sortaient pour me rappeler que j'étais bien devant un film d'horreur. Enfin l'autre problème contenu dans ce film c'est que par son scénario on se retrouve avec une succession de petites scènes horrifiques courtes éparpillées tout le long du film. Une menace lente c'est parfait pour monter la tension mais une fois qu'elle est là, on peut oublier les scènes angoissantes de course-poursuite. C'est aussi pourquoi Ringu concentrait toute cette angoisse du spectateur jusqu'à atteindre la scène finale restée dans toutes les mémoires. Et c'est aussi pourquoi dans It Follows la dernière scène d'épouvante ne fait déjà plus très peur car seul nous intéresse encore le déroulement de l'histoire et les derniers indices donnés à notre interprétation en seconde lecture du film. C'est cohérent mais il reste que It Follows ne m'empêchera pas de dormir ce soir et c'est quand même un mauvais point.


Outre sa réalisation, It Follows a encore des atouts tels que ses acteurs/actrices qui interprètent de façon crédibles leurs rôles et enfin une très bonne bande son même si cette dernière est un peu reprise ici et là. Mais bon on est en 2014, ça s'excuse je crois.


Dans l'ensemble j'ai plutôt aimé ce film d'horreur "indépendant", bien réalisé et suffisamment intelligent et honnête pour combler mes attentes. Le plus gros bémol est encore que ça ne fait pas très peur mais c'est contrebalancé par le fait qu'il évite astucieusement le Spectaculaire et que le propos est ailleurs à travers une double-lecture sur l'adolescence et la sexualité.




Et là je rentre dans une deuxième partie où, à grands coups de spoilers, j'essayerai d'expliquer quel est le sous-texte du film et comment il se manifeste à l'écran. Il faut retenir auparavant que c'est un film très récent et que le réalisateur n'a pas donné d'explications manifestes sur ce que l'on doit comprendre et que l'on peut facilement tomber dans l'extrapolation, le désir de donner une signification à ce qui n'en a peut-être pas, voir l'exact contraire de ce que cela veut signifier. Je vais donc certainement me tromper mais ce n'est pas très grave si on en a conscience.


Le réalisateur est parti d'une idée de film inspirée de ces propres cauchemars d'ado et c'est à partir de là seulement qu'il a rajouté toute une série de symboles pour signifier qu'à l'angoisse première liée aux apparitions fantastiques, se rajoute l'angoisse de la découverte de la sexualité. Les deux sont tout aussi effrayants, tel est le dualisme de ce film.


Ainsi je peux déjà rétorquer à tous ceux qui trouvent que le film diffuse un message anti-sexe voir réactionnaire qu'ils extrapolent probablement de la même manière que d'autres le firent avec Gone Girl en oubliant qu'un film peut ne traiter un sujet qu'à travers un certain angle et avec des personnages qui lui sont propres et pas forcément au-delà. Ca n'en fait pas un manifeste politique ou une étude sociologique pour autant. D'une certaine manière tout était déjà contenu dans le synopsis du film. Ceci dit si l'interprétation Freudienne que je vais exposer à la toute fin de ma critique est prise comme juste, il est vrai que automatiquement la "morale" du film apparait comme conservatrice.


Je reviens sur l'interprétation. La plus courante et la plus évidente est celle d'un parallélisme Malédiction/MST. Je vais en surprendre mais je ne suis pas convaincu de l'importance de cette métaphore des MST. A l'heure de la capote généralisée, c'est une obsession qui me semble avoir progressivement disparue dans le cinéma depuis les années 2000. Et c'est presque décevant d'imaginer que ce ne serait que cela. Si elle est présente, ce n'est probablement qu'en surface et un thème de la sexualité parmi tant d'autres. Comme le réalisateur l'a lui-même indiqué, c'est un film sur l'adolescence et pas seulement une histoire de safe-sexe, d'abstinence ou de contraception qui elle concerne aussi bien les adultes.


Tout le long du film il y a une succession d'analogies avec la sexualité en général, au moins pour les ados américains. On voit des scènes où ils font l'amour mais derrière l'échange de la "maladie" (du film) c'est aussi une sorte d'échange des sentiments. Symbole d'une époque où l'acte sexuel est plus désacralisé (ce qui ne signifie pas non plus qu'il est sans importance) et où le regard des adultes parait toujours en décalage avec celui des "enfants" (ex: l'anecdote des revues pornos). Il y a les personnages eux-mêmes qui sont tous beaux et issus de la banlieue américaine typique. Le décalage avec l'arrivée en ville (quartiers populaires) et l'anecdote de danger de la foire placée hors "limite" rajoute en sus à la menace "sexuelle" une couche de critique sociétale là encore caractéristique du cinéma indépendant US. Leurs parents (invisibles) veulent les protéger de l'inconnu en général et nous avec sous l'effet de la menace qu'ils essayent d'échapper.


Il y a l'exposition subtile des interdits inhérents à cette adolescence de la classe moyenne américaine. Les interdits on les bafouent ce que suggère le sexe "avant l'âge" et sa vision romantique auxquelles on ne croit plus déjà (cf: discours de Jay après avoir fait l'amour avec Hugh). Il y a là encore encore ces rapports sexuels échangés comme si de rien n'était ("tu n'as qu'à refiler la chose", répête-t-on à Jay) mais ce sera désormais sans grande passion. Il y a bien sûr cette scène avec l'herbe sur la cuisse de Jay en forme d'auto-mutilation, prélude à l'idée de l'abandon ou du suicide à cet âge-là. Et puis il y a tout simplement cette fuite des ados alors laissés entre eux loin du domicile protecteur. D'ailleurs ils se scrutent la plupart et aimeraient tous faire l'amour avec au moins une autre personne présente. (Kelly avec Greg, Greg avec Yara...ou les 3, Paul avec Jay et Jay est celle qui bloque tout d'une certaine manière tout en ayant de façon contradictoire l'échappatoire sexuelle rêvée.) Découverte des possibilité du désir. Miroir des genres respectifs également quand Hugh explique qu'une fille peut coucher plus "facilement" que si elle avait été un garçon. Quant à l'homosexualité elle n'est volontairement (?) jamais évoquée. Voilà le non-dit. Eh puis à la piscine, tout ce sang ce sont les règles de Jay, celles qui viennent de son sexe qu'elle scrute tantôt presque ahurie devant son miroir alors qu'elle n'est pourtant déjà plus vierge (cf: elle avait déjà couchée avant avec Hugh) et a déjà ses règles. Elle y cherche un indice sur l'origine de sa "maladie" mais c'est aussi une (re)découverte de son corps ? Et finalement la dernière conversation de Jay avec Paul après qu'ils aient fait l'amour est limpide, presque clichée, où ils se demandent l'un et l'autre s'ils se sentent différents (= adultes). La réponse est bien évidemment négative. Cela ne vient pas avec le fait d'être sexuellement actif.




  • Bon c'est bien beau tout ça mais il est où Freud, en dehors de tes extrapolations monomaniaques ?



Oui il y en a, j'avais prévenu. Mais Freud par contre est de façon évidente présent à travers la matérialisation symbolique de son complexe d’œdipe. Greg couche avec sa mère et Jay tue le père. Évident, limite grossier, mais ce n'est peut-être justement pas que cela. J'ignore quelles sont les connaissances en psychanalyse du réalisateur et il est possible qu'effectivement l'allusion à œdipe n'est présente que pour parfaire une sorte de pot-pourri décidément trop tentant. C'est d'autant plus probable que le réalisateur est américain et que en dehors de la France, le Freudisme déconsidéré n'est plus une discipline et un chant culturel aussi largement diffusé dans la population. Il faut donc vraiment avoir étudié Freud pour faire ressortir des similitudes plus élaborées que l’apparent complexe d’œdipe. Mais s'il s'avère que c'est le cas : voici ce que moi j'y ai vu et que l'on peut rajouter comme interprétation.


Selon Freud les deux étapes que devra surmonter une jeune fille (Jay) sont le fait de devenir une femme et de vaincre sa peur des hommes, et donc du père. Après son rapport avec Hugh, on sait que Jay couchera par trois fois avec d'autres hommes. Trois, comme les trois éléments fondamentaux du psychisme selon Freud : le Ça, le Moi et le Surmoi.


Le premier avec qui elle couche c'est donc Greg, l'alpha mâle évident du film, le dominant. Greg représente le Ça chez Freud, c'est-à-dire le côté pulsionnel en chacun de nous. C'est ce qu'on projette chez autrui, ce qui fera que Jay - outre que de céder à la facilité de coucher avec Greg - dit dans le film qu'elle pensait qu'il s'en sortirait lui (et le film joue à nous le faire croire). Mais ce Greg est fantasmé et le vrai doit surmonter son propre conflit interne psychique et c'est pourquoi il est symboliquement tué par sa mère.


Le deuxième sont en fait plusieurs : ce sont les trois inconnus au large sur une embarcation. Ils représentent le Moi qui cède à ce qu'il sait être mauvais (cf: le "J'aurais pas dû" prononcée par Jay). Si dans le Ça seuls les pulsions animales et les fantasmes comptent, le Moi compose avec le réel et anticipe l'acte à venir. C'est une position médiane entre le Ça et le Surmoi.


Le troisième c'est Paul, le bon et courageux, qui s'inquiète vraiment pour Jay et pas seulement pour coucher avec. Il est le Surmoi, celui qui s'oppose au Ça. C'est évident à l'écran notamment via les regards lancés par Paul. Le Surmoi est le résultat conscient du Ça, celui qui connait ses limites, a une morale et ramène au réel. Il est donc normal que c'est lui qui "sauve" Jay. A la différence du Moi il (le Surmoi) sait faire le bon choix car il a déjà résolu son conflit intérieur et affronté son complexe d’œdipe. Ce qui explique que "la chose" ne revient pas une fois le père tué par le Surmoi (Paul). Ce que tout le monde devrait faire (selon Freud).


Enfin on peut analyser le titre anglais (non traduit chez nous). It Follows. Ça est la traduction français de It. Et Follows est curieusement au pluriel. Ce qui peut se traduire par le fait que le Ça, le Moi et le Surmoi nous suivent tous. Et comme il est question de sexualité entre ados, c'est cohérent avec la thèse de Freud sur l'importance de la libido lors du passage à l'âge adulte.


Le père qu'on tue dans le film peut également être vu sous l'angle Freudien. Probablement en exagérant car on ne possède pas assez d'indices. Le vrai père on ne le voit pas dans le film et il est possible qu'il soit mort. En tout cas dans son apparition à la piscine on le voit jeter des objets personnels de sa fille, tels des artefacts (les totems chez Freud). Cela pourrait symboliser à la fois la maltraitance et le conflit avec le père que doit résoudre Jay. On peut encore franchir un palier en imaginant ce père comme étant incestueux. A ce moment, et d'après Freud, il représenterait alors chez Jay la résurgence du souvenir de l'inceste du père (réel ou non). Le fait qu'elle se trouve dans la piscine - moment de grâce et de calme dans le film - symboliserait son retour dans le refuge du liquide amniotique de sa mère enceinte, ce qui selon Freud désigne l'Inconscient. Enfin la délivrance par Paul, le Surmoi, le retour à la réalité - du fond de l'eau jusqu'en dehors de la piscine - et la victoire sur le père (par un tir à la tête).


Dans la scène finale on voit Jay et Paul marcher mains dans la mains. Ils sont habillés de façon particulière, presque tout en blanc, comme s'ils allaient à un mariage. Quoi de ne plus normal en fait puisque Jay et Paul représentent le couple idéal (cf: ils partagent leur premier baiser) et que Paul représente le Surmoi et donc la morale, comme Jay a pu s'en convaincre lorsqu'il a tué le visage du père symbolique en elle. C'est bien un mariage. Un mariage selon les rites de la religion Freudienne.

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le 24 août 2015

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Ashtaka

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