Même si c'est un film historique, cette critique traite de la fin du film.


Avec J'accuse, Polanski ne s'intéresse pas à ce que l'on attendait : loin de faire un énième procès à la politique de la France de l'époque, de livrer une histoire pacifiste à l'extrême, de jouer les pères la morale par sa maîtrise évidente du sujet, il décide de partir dans une toute autre direction en axant son film sur la thématique de la communication. On le voyait déjà à l'affiche : si elle pouvait nous laisser présager d'un face-à-face, elle démontre surtout qu'il s'agira de poser l'histoire de deux hommes qui, ne s'appréciant guère, sont au moins unis par leurs valeurs et la quête de la justice.


Polanski illustre son propos de prime abord en montrant, dans sa première partie, un Dreyfus qui croule sous les cris, les hurlements injurieux avant de se retrouver seul sur son île, gardé par des geôliers qui n'ont pas même le droit de lui adresser la parole : quelle punition est la pire, les foudres gueulardes du peuple ou le silence paisible d'une île d'exil de fait éloignée de toute vie civilisée?


De son côté, Dujardin évolue de réception en réception, s'amuse premièrement du condamné pour arriver ensuite à son nouveau poste, lieu austère où les documents seuls dialogueront avec lui : Polanski le filmera alors souvent seul à fouiller dans son nouveau bureau et l'immensité de registres, textes, lettres recollées des poubelles de l'adversaire pour s'informer; autour de lui, des hommes presque muets, ripoux, sans sa vertu ni ses codes moraux.


S'enclenche alors, avec l'enquête visant à prouver que Dreyfus est innocent, les deux symboliques d'évocation de l'évolution de la communication entre Dujardin et son monde. La cigarette est premièrement un élément de partage : la première fois que l'on voit Picard fumer, c'est au lit avec son amante, amour de sa vie interprété par une Emmanuelle Seigner qui cabotine ou manque d'émotions : elle luit tend la cigarette, qu'il prend avec plaisir.


Suivront des scènes où il fumera seul dans son bureau, réfléchissant, se triturant le cerveau, puis progressivement lors des visites de ses subordonnés, dont un Gregory Gadebois parfait, jusqu'à fumer même seul chez lui, dans la nuit quand son amante dort, épluchant à la lumière de bougie ce dossier qui l'empêche de mener sa vie. Bien sûr qu'il fume plus, et qu'il communique moins : pire même, cette cigarette qui témoigne de son isolement du monde marque aussi ses adversités.


C'est alors qu'il vient rendre visite au domicile du Général Charles-Arthur Gonse qu'on s'en aperçoit définitivement : alors qu'il sait entrer en conflit avec ses supérieurs hiérarchiques (consciemment ou non), et que son hôte lui propose une cigarette, il la refuse et décide de lui montrer directement le dossier qu'il a monté prouvant l'innocence du présumé coupable. La scission est marquée, le lieutenant-colonel Picard entre en conflit avec sa hiérarchie, avec la France et l'opinion publique pour sauver la vie d'un homme innocent.


C'est alors qu'entre en ligne de compte la deuxième représentation de la communication : les sorties de pièce. Lorsque Dujardin débute ses recherches, commence à remuer tout cet univers putride et corrompu, les visites qu'on lui rend, outre houleuses ou cinglantes, se concluent pour la plupart (principalement celles de ses subordonnés) par un salut, un regard appuyé et une porte qui se ferme.


Polanski montre toujours le même schéma bien appuyé du départ tendu : quand on quitte une pièce de J'accuse, c'est en solitaire et en contenant sa colère, le regard fixe et la porte sèchement fermée, ou en sortant comme une fureur, à l'image de Dujardin après son entrevue d'avec les généraux. Il n'y a pas de demi-mesure jusqu'à la fin, épilogue joliment dessiné durant lequel Polanski affiche, en plus d'un inévitable goût pour les décors d'intérieur français de l'époque, l'ultime rencontre de Picard et Dreyfus.


Les deux, sachant qu'ils ne s'apprécient pas, tiennent les positions de leur nouvelle vie : celle d'officier de Dreyfus qui en demande peut-être un peu trop, et de rédemption du désormais Général Picard, récompensé pour "avoir fait son travail". Ce dernier face à face, loin du pathos ou du larmoyant, tient sa justesse dans l'estime que se portent les deux personnages en connaissant fermement leurs points de vue sur l'autre : Picard antisémite, Dreyfus trop gourmand.


Et là, en guise de dernier plan, Polanski inverse la tendance : s'ils sortent de la pièce, c'est pour de bon puisqu'ils quittent également le film. Ainsi, on ne les voit pas partir, mais ils continuent de se parler : on tient là la première scène où l'on ne voit pas d'une part un personnage sortir d'une pièce, et d'autre part où l'on suit deux protagonistes qui la quittent en bon terme, droits dans leurs bottes, justes et amicaux.


Avec J'accuse, Polanski démontre que la communication est à la base de toute chose; rien de bien phénoménal dedans, soyons d'accord : c'est la forme que prend cette thématique qui est intéressante. Bien plus qu'un moyen d'atteindre une certaine profondeur d'écriture (que le film possède de façon indéniable), elle lui offre surtout l'opportunité d'essayer son style de mise en scène classique sur un ton plus moderne, le tout prenant place dans un film historique à la reproduction prodigieuse; la scène d'introduction, durant laquelle Dreyfus se fera dégradé, en incarne le parfait exemple : à la composition parfaite, elle affiche une symétrie prodigieuse et compose des plans dignes de tableaux.


Ce n'est d'ailleurs pas pour rien si le réalisateur, féru d'art et de décors, positionne son action et ses personnages de sorte à référencer son film de plein de petites allusions à des tableaux, français pour la plupart : Polanski, tout classique qu'il est, s'inspire du classicisme de la peinture pour la mêler au modernisme du cinéma, dynamisant ainsi sa mise en scène qui a de l'âge (donc de la matûrité et du savoir-faire) des effets de caméra et de montages actuels (à sa façon, bien sûr).


En ressort une oeuvre formellement accomplie que vient compléter la performance tout en sobriété, en charisme et en classe d'un Dujardin qui devient, depuis quelques années, la nouvelle référence en terme d'interprétation française. A ses côtés, des acteurs tous très talentueux (exception faîte de l'étrange Emmanuelle Seigner), des seconds couteaux savoureux, un scénario allant dans le crescendo qui fera monter la tension avec une maîtrise très satisfaisante.


S'il est très classique, J'accuse parvient à tirer le meilleur de son côté daté en modernisant l'art d'un réalisateur affichant une fois de plus sa maîtrise complète des thématiques qu'il développe. Impressionnant.

FloBerne
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le 30 nov. 2019

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