Jeanne Dielman demeure sans aucun doute le chef d'oeuvre de Chantal Akerman, une réalisatrice réfutant intelligemment le naturalisme au profit de la pure mise en scène. S'attelant principalement à construire une Oeuvre la cinéaste convoque ici les expérimentations formelles de ses films de jeunesse ( principalement celles du méconnu mais très intrigant Hotel Monterey ) tout en scénarisant énormément sa réalisation.
Portrait de femme d'une élégante singularité Jeanne Dielman est un film aux dehors monolithiques, faussement conceptuel et admirablement incarné par la comédienne Delphine Seyrig ; par l'entremise d'un cadre imperturbablement fixe, captant les activités plus ou moins anodines, quotidiennes de Jeanne Chantal Akerman place sa caméra sous le signe de l'omnipotence, quitte à ce que cette dernière se désolidarise parfois de son héroïne : c'est techniquement implacable et d'une précision formelle ahurissante.
Akerman livre ainsi une formidable proposition de cinéma, utilisant son unique décor de manière pratiquement métronomique, scandant ses plans au rythme des éclairages. Rien, dans Jeanne Dielman, ne semble laissé au hasard par la réalisatrice : chaque objet, chaque meuble, chaque ustensile habite les lieux avec sa place sine qua non... La durée du film, à priori redoutable, amène cette mécanique parfaitement huilée vers un malaise sourdant de minute en minute : le cinéma comme affaire d'espace-temps, véritable déroulement dramatique et dramaturgique qui invite le spectateur à voir différemment.
Atonale, parfois proche du modèle bressonien l'interprétation de Delphine Seyrig fait entièrement corps avec les intérieurs éclairés par Babette Mangolte : les gestes, les activités ménagères inlassablement répétées, les petits commerces pudiquement tus et les déambulations obsédantes de l'héroïne témoignent du travail colossal que Chantal Akerman a effectué sur sa direction d'actrice. On voit bien l'influence de la réalisatrice chez l'auteur de Elephant et de Last Days, dans cette manière d'articuler des corps et des décors au nom du pur cinéma. Jeanne Dielman est un sommet artistique au coeur duquel la mise en scène transcende littéralement le dispositif. Un film absolument sidérant.