Depuis les un peu plus de 5000 ans qu'il a été domestiqué par l'homme, le cheval a largement eu le temps de se faire une idée de l'irrationalité du bipède qui s'est servi de lui pour parcourir le monde. Pendant ces tumultueux millénaires, il a pu constater que la chasse et la culture n'allaient pas suffire à son curieux dompteur. Bien vite, il réalisa que la guerre, les défilés, les courses, les spectacles, le trait ou le halage faisaient désormais partie de sa vie, et un jour, sans doute, il a dû se dire que rien ne pouvait plus l'étonner dans la férocité et l'inventivité de ce stupéfiant compagnon.


Mais c'est bien une des limites de ce pauvre canasson que de ne pouvoir appréhender l'homme dans une de ses dimensions essentielles: sa capacité à se surpasser.


Il y a quelques mois un brave percheron, utilisé pendant le tournage du dernier film de Bruno Dumont, ne savait pas qu'il allait devenir le témoin et la victime d'une nouvelle escalade dans le rapport ancestral et stupéfait entre les deux races.
Alors qu'une jeune humaine à côté de lui se déplaçait de manière hystérique et malhabile en émettant des sons insupportables à l'oreille humaine, il n'eut d'autre choix que de refuser (une des célèbres cinq phases du deuil) ce qu'il vit, en plongeant le museau dans sa pitance, prétendant ainsi manger paisiblement. Animal social, il leva bien une ou deux fois la tête pour signifier qu'il était bien obligé d'effectuer malgré lui ce constat glaçant et muet: il expérimentait une nouvelle facette odieuse que peut revêtir la torture animale.
(Nul doute qu'il faudrait, à la suite de ce tournage, ajouter une ligne aux douteuses conditions de l'AHA).


Faire semblant de manger, la réaction est logique: face à l'inexplicable, et pour échapper à la terreur, en revenir aux fondamentaux, lorsque l'homme et l'animal étaient nouvellement unis, sur des bases que les deux espèces pouvaient comprendre.
Sans réaliser que parfois les limites peuvent devenir une chance: ici simple figurant, le cheval est une de ces créatures vivantes qui ne pourront jamais appréhender le film complet, dans toute sa stupéfaction et sa monstruosité.
On en aurait presque envie de se pencher affectueusement vers lui, lui caresser l'encolure et lui murmurer à l'oreille que non, le type aperçu derrière la caméra, ce n'est pas ça un être humain avec du talent et de l'humour.
En ajoutant que parfois, devant certains spectacles, on préfèrerait nous aussi être un cheval.

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le 1 sept. 2017

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guyness

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