Le western est déjà un genre installé depuis de nombreuses années dans le paysage cinématographique, porté par des cinéastes expérimentés tels que John Ford et Howard Hawks. Cela ne l’empêcha pas de s’intégrer également dans une nouvelle ère du cinéma hollywoodien, avec, par exemple, Johnny Guitare, de Nicholas Ray.


Johnny Guitare débute aux côtés du personnage qui donne son nom au film, témoin d’une attaque de diligence qu’il laisse se dérouler en passant son chemin. Il rejoint le saloon de Vienna, isolé au milieu de rien, dans une atmosphère de bout du monde alimentée par ce vent qui font s’élever des nuées de poussière dans cette petite ville désertique. La première partie du film va insister sur ce côté isolé, avec ces personnages éloignés dans le cadre de cet immense saloon, dans lequel se fait entendre, en permanence, le bruit du vent qui souffle à l’extérieur. Ce calme ambiant, dans lequel le décor se pose, met en lumière ces personnages marginaux, chers à Nicholas Ray, entre Vienna, Johnny Guitare, Tom, et les rejetés du village.


Alors que ce n’était l’affaire que de quelques hommes et femmes, tout le village débarque soudainement dans le saloon. Comme dans une vision très accélérée de la conquête de l’Ouest, c’est tout un peuple qui se retrouve réuni dans ce lieu désertique et hostile. Mais les intentions de cette foule sont loin d’être bienveillantes, celle-ci étant notamment menée par Emma, rivale de longue date de Vienna, prête à tout pour la chasser et la faire condamner. Ainsi, Johnny Guitare vient mettre les marginaux face à la foule, le condamnant à la fuite face à une population assoiffée de violence et cruelle. Le dispositif rappelle quelque peu L’Etrange incident (1943) de William A. Wellman, qui mettait déjà en avant une foule à la recherche d’un coupable, jetant son dévolu sur trois hommes pour appliquer sa sentence au terme d’une parodie de procès.


Le chemin emprunté par Johnny Guitare reste cependant bien différent, s’intéressant notamment à l’histoire d’amour entre Johnny et Vienna, et à leur opposition vis-à-vis de la foule menée par l’infâme Emma. La violence ne fait que progresser, jusqu’à, notamment, ce déchaînement infernal qui se manifeste sous la forme d’un immense incendie, motif récurrent dans le genre, depuis ses origines dans des films comme Le Justicier (1916), jusqu’à d’autres westerns de renom, comme Pour une poignée de dollars (1964). Si le titre du film met en lumière le personnage masculin principal, ce western est avant tout une affaire de femmes, avec un duel à distance entre Vienna et Emma. En réalité, au fil du film, Johnny devient presque secondaire ou, tout du moins se voit-il être mis progressivement en retrait dans l’intrigue. Une intrigue bien ficelée et prenante, pour ce western assez atypique mais dont ces spécificités font tout le charme.


Le regard perçant de Joan Crawford, le côté taciturne de Sterling Hayden, les décors, les couleurs, le rythme, tout cela fait le charme de ce Johnny Guitare, où l’on se prend d’affection pour ce couple d’infortune, menacé par la détestable Emma, incarnée par une Mercedes McCambridge qui s’en donne à cœur joie dans son rôle. Comme dit Johnny, certains ont un faible pour l’or et l’argent, d’autres pour la terre et le bétail, et d’autres pour le whisky et les femmes, mais on a surtout besoin d’une cigarette et d’un café, comme pour synthétiser la vision d’un monde où l’on passe à côté de ce pour quoi nous sommes réellement destinés. Quelques notes de guitare s’élèvent alors, pour ponctuer un très beau western dont la légende n’est certainement pas volée.


Critique écrite pour A la rencontre du Septième Art

JKDZ29
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Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Les meilleurs westerns et Vus en 2020 : Une folle année cinématographique

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le 18 déc. 2020

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