La séparation d'un couple du point de vue des enfants, particulièrement celui du plus jeune qui est encore mineur, Julien (interprété par le très bon Thomas Gioria). Ballotté entre sa mère qui fait tout pour couper les ponts avec son ex-mari et son père, cherchant (mais en vain) à renouer contact avec lui et à continuer de l'éduquer, Julien est le centre émotionnel du film. Pour mettre en scène cette peinture sociale malheureusement trop récurrente, où les enfants de parents divorcés sont toujours réduits à un bien que l'on se partage, Legrand signe un premier long assez impressionnant, mais qui vire à la séquestration du spectateur. L'idée de peu à peu faire tendre le récit vers le film d'horreur avec ce personnage de père qui devient monstrueux est intéressante, si tout n'était finalement pas si prévisible et forcé. Le père est dès les premières minutes présenté par l'avocate de la mère comme un personnage potentiellement violent qui aurait blessé un des enfants, et cette hypothèse vient trouver corroboration un peu plus tard avec une dispute violente contre le fils, puis plus tard encore avec une scène terrible dans la voiture. Autant dire que tout est déjà joué et que dans la logique du film à tension croissante, on est sûr du final. A aucun moment on ne croît à la rédemption du père, même quand il est chez ses parents, au départ tranquille, il ne peut pas s'empêcher de remuer les plaies et d'être le type désagréable et borné qu'il a toujours été. On ne croît pas à sa détresse, la faute notamment au casting. A mon sens, c'était une erreur de choisir Denis Ménochet (pourtant très bon) dans ce rôle, puisqu'il ne fait que retirer le peu d’ambiguïté du personnage sur le papier. Legrand le filme comme une bête, au regard bovin, qui ne réfléchit pas mais ne fait que donner des coups et gueuler. Sans compter que sa carrure beaucoup trop imposante (Léa Drucker à l'air d'une gamine de 14 ans à côté de lui) ne laisse pas le moindre doute sur sa nature dévoratrice. La question la culpabilité de la mère est très vite oubliée malheureusement, alors que ce combat entre les deux visions de l'éducation, entre les deux visions de la parentalité aurait pu être fertile.


Tout le problème, c'est aussi que cette montée artificielle d'horreur va de paire avec un enfermement des personnages dans des situations inextricables et scénaristiquement trop limitées, trop écrites. Le meilleur exemple c'est cette scène de voiture interminable où le père veut absolument savoir où son ex-femme habite à présent, et va jusqu'à harceler, poursuivre, frapper, menacer son fils malgré ses protestations et ses larmes, fils qu'il désire pourtant retrouver de tout son cœur et ne surtout pas perdre à nouveau. Je veux bien que le père soit poussé à des actes idiots par besoin de renouer contact, par pulsion, mais là c'est un plan prémédité et complètement surfait qui ne peut que lui attirer des ennuis, et qui est en plus basé sur de pauvres suppositions. Car oui, c'est justifié par le fait que la mère aurait potentiellement un amant (chose que le gamin mettra très longtemps à nier forcément, d'un point de vue de tension c'est parfait comme ça) et que donc il irait lui péter la gueule (on imagine vu son énervement - mais à quoi bon finalement puisqu'ils sont séparés depuis longtemps ?), et cela est artificiel, beaucoup trop facile dans son déroulé. La résolution de la scène : Julien finit par rejoindre la voiture de son père après avoir tenté de fuir. Au final donc : une pure violence émotionnelle gratuite, qui ne se solde par aucun avancement réel de l'histoire. Pour ce qui est du final assez épuisant, il est émotionnellement très fort, mais achève le film dans son caractère poussif et finalement assez creux. Projet casse gueule réussi à moitié pour moi, pas très pertinent en termes d'écriture mais tout de même très bien soutenu par les comédiens.

Narval
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le 28 juil. 2018

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