Le phénomène Les pépites continue, bien malheureusement... On prend un sujet fort, humain, essentiel, et on en fait un spot publicitaire horrible et putassier sur le don d'organe (et la sécurité routière au passage). Comment un roman dont la langue est aussi riche et généreuse peut-il être raconté d'une façon si banale et désenvoûtée ? L'introduction, tentant d'appréhender la vie de ce jeune adolescent surfer est un ramassis de scènes déjà vues et d'esthétisation aquatique au ralenti insupportable, tout juste bon pour laisser le sensationnel du geste alimenter un peu la vision intime du personnage. Sans prendre le temps d'approfondir quoi que se soit, adaptant avec une platitude toujours renouvelée le best-seller du même nom, Quillevéré s'engouffre dans un film qui se voudrait humain et poignant, mais accumule les erreurs de goûts et les clichés cinématographiques à n'en plus pouvoir.
On passe sans surprise par toutes les scènes indispensables alors que certaines ellipses ou quelques ruptures de rythmes auraient permis de mieux rendre l'idée de fêlure émotionnelle séparant les différents acteurs mis en jeu, surtout les parents, dont les motivations et la prise de conscience passent complètement à la trappe. La grammaire du Poison Violent, l'originalité de sa structure ne sont plus là, la transmission de l'organe est relayée par une série de braves bonhommes qui font leur boulot sans broncher pour le meilleur des mondes, résumant la complexité des intérêts et des psychologies à un défilé de personnages tous plus écrits et ridicules les uns que les autres (notamment Tahar Rahim, sorte d'extra-terrestre qui n'est jamais juste). Les scènes émouvantes partent en éclat miséreux, la magie organique n'opère jamais. Les seuls éléments qui dénotent vraiment, et qui représentent un choix de mise en scène à saluer, sont les plans fixes en pongée sur les opérations, sans doute très intéressant pour les futurs étudiants de PACES, fascinant pour les curieux, écœurant pour les autres, mais pas grand chose de plus, simplement à revers du reste du film qui est si avare. Le côté technique du roman apparaît comme le contraire d'un savoir-faire, tout devient surhumain, déplacé de la vérité par la volonté d'émouvoir tout le temps, romancé comme un mauvais biopic qui ne ferait que surfer sur la vague au lieu d'y plonger.


Concernant la lumière, Réparer les vivants évolue dans un non-éclat d’hôpital constant, comme si les notes bleutées de la mer ou dorées du soleil pouvaient êtres encore mieux occultées, démunies de leurs charmes ou de leurs pouvoirs, comme si la puissance des éléments étaient réservée à des séquences-pub pour le surf, sans aucune variation ni mouvance, et que la grande fonction de la lumière était tout bonnement d'éclairer uniformément, telle la photographie d'une série télé trop vite fagotée et mécanisée, les destins multiples qui se rencontrent pour sauver des vies, sans jamais leurs donner autre chose que le minimum syndical. En soit, une photographie banale n'a rien de mauvais, le problème est que la réalisatrice s’évertue tout de même à esthétiser à outrance son film à de nombreuses reprises, dans une non-esthétique totale (sans idée pour la sous-tendre)... là est le soucis.


Ajoutons à cela la musique insupportable de Desplat (qui décidément les accumule ces dernière années) toutes les dix minutes, avec en guise de leitmotiv quelques accords au piano solennels bien affectés, comme un renoncement pur et dur à moindre créativité. Une mièvrerie de plus pour un film qui n'en demandait pas tant, sensée relier les personnages dans l'amour et le bonheur, elle finit par lier plutôt les spectateurs dans la douleur et la gêne.


On retiendra le petit rôle néanmoins plaisant d'Anne Dorval, fantomatique, qui amène un peu de variation dans le jeu anecdotique des acteurs, ainsi qu'une grande question que le film soulève malgré lui : une transplantation des reins aurait-elle été aussi symbolique ? Étant donné le traitement, sans doute pas.


EDIT du 26 janvier 2017 : la multi-nomination de ce film aux César vient répondre à la question : "La masse peut-elle élire des films pour la masse ?" Certainement non. Tous ceux qui ont vu le film savent très bien comment il se termine (façon dentifrice bien sûr), et comment ils nous achève par sa minauderie.

Narval
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le 7 nov. 2016

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Narval

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