Vers la fin des années 50, Willis O’Brien, le génie derrière les effets spéciaux du King Kong de Cooper et Schoedsack (1933), avait l’idée un peu folle de vouloir se faire affronter son bébé King Kong et une créature de Frankenstein géante, pour prolonger le mythe de la créature simiesque. Le producteur John Beck, incapable de trouver un studio prêt à monter le projet, revendit l’idée à la Toho sans en avertir O’Brien. Ce n’est que quelques années plus tard, à la sortie de King Kong vs Godzilla, qu’O’Brien découvrit, consterné, ce qu’était devenu son idée. Il décéda quelques mois plus tard, ce qui amena les fans de l’artiste américain a faire des liens inutiles et à détester les films de kaiju, en particulier Godzilla. King Kong vs Godzilla deviendra lui, avec le temps et les ressorties, le plus gros succès de la franchise au Japon avec plus de 12 millions de spectateurs.


Je ne nie pas que d’avoir vu ce film directement après le décevant Mothra a du jouer en sa faveur me concernant. J’aime toutefois croire également que je n’aurais pas mis une note très différente de l’actuelle si c’était le premier kaiju-eiga que je découvrais, tant King Kong vs Godzilla possède de très belles qualités. D’une part, on ne s’ennuie pas dans ce film résolument orienté vers la famille au sens large : le ton est assez léger, la comédie est omniprésente (chez les personnages mais aussi King Kong lui-même) et le rythme est soutenu, le film enchaînant les moments de tension (l’île de Kong, l’attaque du train) et d’action avec une certaine fluidité.


D’autre part, pour en revenir au kaiju-eiga, Honda semble revenir aux essentiels, ramenant les personnages humains à leurs simples figures narratives (le comic relief sous les traits d’une caricature de Groucho Marx, la demoiselle en détresse, le bellâtre héroïque) et laissant surtout la part belle aux monstres, à la destruction urbaine et à une certaine forme de grandeur dans le n’importe quoi. Exit l’abus d’effets spéciaux ratés (ils sont encore là, mais moins nombreux, moins perceptibles, presque mieux réussis à vrai dire), exit toute prétention scénaristique autre qu’une esthétique de la destruction et de la terreur, King Kong vs Godzilla est un divertissement qui s’assume. C’est aussi la “première fois” à de nombreux niveaux : premiers Godzilla et King Kong en couleurs, premier cross-over marquant (Anguirus n’était jamais apparu avant Le retour de Godzilla), premiers recours au stop motion au niveau des effets spéciaux, et surtout première cohérence diégétique puisque le Godzilla du Retour de Godzilla et de King Kong vs Godzilla sont une seule et même créature.


Bon, après, ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit : King Kong vs Godzilla est loin d’être sans défaut, le film ne vole jamais bien haut niveau intellectuel et y a une marge avant de le considérer comme un grand film. Il est néanmoins un grand kaiju-eiga, aboutissement d’une dizaine d’années d’essais de la part d’Honda et de son fidèle acolyte Eiji Tsuburaya aux effets spéciaux, preuve nécessaire que le réalisateur était loin d’être un manchot, s’amusant même à reproduire quelques plans de son maître Akira Kurosawa de ci de là (dont un évoquant directement Rashômon). Un modèle du genre.


En guise de conclusion, un fun fact : pour incarner la créature géante Oodako, 4 pieuvres ont été utilisées pour le tournage, dont 3 ont été relâchées après le tournage... quand la quatrième, elle, a tout simplement été bouffée par Tsuburaya, le responsable des effets spéciaux. Comme quoi, les monstres ne sont pas toujours ceux qu’on croit !

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le 22 juil. 2020

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Cinemaniaque

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