Ce n’est pas souvent que j’ai beaucoup de choses à dire d’un film qui ne me transporte pas spécialement. On pourrait croire que je le dois à l’originalité de Kingsman, ce Johnny English déluré sauce Deadpool (& apparemment Kick-Ass aussi, mais je ne l’ai pas vu). Pourtant, il n’invente strictement rien et n’a cure de mettre le réchauffé sur un plateau d’argent – ce que fait d’ailleurs Samuel L. Jackson avec son ”happy meal” de sorte que ses manières vont avec le grotesque de sa tenue.


Eggsy (Taron Egerton), personnage principal de son état, est ce génie & ce champion de gymnastique avec l’étoffe d’un Spiderman qu’une Agence (il faut le prononcer en murmurant avec un ton mystérieux) débotte d’une vie socio-professionnelle tenant en une ligne. Vaughn tente la rupture en intégrant Eggsy, semi-plébéien, dans le monde huppé des Kingsman, mais ce n’est que son prétexte pour faire durer deux heures un spectacle qui n’a pas vraiment de vision globale.


Mais je brûle les étapes. Kingsman est produit par une société fondée par le réalisateur en 2004, Marv, qui exhibe quatre lettres abrégeant Marvel. Ou bien abrègent-elles… ses souffrances ? Marv est un renouveau qui ne cherche pas sa place car sa place est partout : pourquoi ne pas transformer le Nick Fury du MCU en mégalomane absurde ou faire du John Brand d’Interstellar ce gentleman james-bondien corruptible sous de grands airs ? – deux rôles de Michael Caine qui promettent un monde meilleur.


Il ne faut pas trop s’arrêter sur le casting manipulé par un Vaughn trop prompt à ne vouloir rien commencer de zéro. Les personnages secondaires en souffrent particulièrement, étant relégués au niveau d’inutilité d’un ingénieur du son derrière un métier à tisser. D’ailleurs, le film annonce la couleur d’entrée : celle du sang versé sur les notes de Money For Nothing. Il n’est pas question pour le spectateur d’être d’accord que Mark Knopfler ambiance un génocide de masse, parce que le divertissement, on nous l’enfonce dans le gosier avec un hérisson de ramonage.


Il faut avoir la digestion solide pour supporter que l’équipe de Vaughn soit constituée de brillants artistes de l’ultra-violence, du genre à pousser l’autodérision au point de ne pas reposer juste sur l’outrance. Alternant slow motions voyeurs & fast motions bien crispy, il met toujours l’action au plein centre de l’écran et cache des uppercuts dans des Big Macs mieux que je cache mes arguments derrière les anglicismes.


Dans une subtilité délirante (compte tenu du bouillonnement ambiant), l’œuvre hurle au monde qu’elle n’est pas un Deadpool, même si assurément ils s’inscrivent dans la même lignée ; les Kingsman sont plutôt sa némésis, agents proprets dont l’œil n’est vif & la respiration haletante que si ça arrange les scénaristes.


Kingsman ne se prend pas au sérieux à ce niveau profond, osant être peu accessible, et s’érige de ce fait au rang des plaisirs coupables supérieurs, ceux que la cinéphilie stoïque & gentilhommière relie toujours au monde d’en haut. D’ailleurs, en faisant de ses personnages des cinéphiles accomplis, glissant des références cinématographiques dans sa trame, de Nikita à Pretty Woman en passant par les inévitables 007, Vaughn caresse le quatrième mur à chaque fois que les protagonistes répètent :



It’s not that kind of movie.



Stoïque, c’est aussi le mot pour qualifier Colin Firth, dont le flegme anglais confronté à l’ubuesque Nick Fury version Marv est une de ces fluctuations qui nous font hésiter : on doit prendre le film au sérieux, oui ou non ? Des fluctuations sensibles même à l’intérieur des personnages, où elles font se fendre le so-called gentleman de cette citation carrément choquante (qui est bien sûr la première de la liste des quotes sur IMDb) :



I’m a Catholic whore, currently enjoying congress out of wedlock with
my black Jewish boyfriend who works at a military abortion clinic. So,
hail Satan, and have a lovely afternoon, madam.



Si sa personnalité émane de ce genre de traits (de caractère et d’humour), Kingsman souffre aussi du corollaire, exposant très vite une confiance excessive dans le charisme de ses agents clonés les uns sur les autres avec leur costumes pare-balles & leurs lunettes. Le côté gentleman se réduit à peau de chagrin jusqu’à devenir une simple amorce au regard des minutes qui passent.


On entre alors dans le ventre mou d’une ambiance en U, où l’absence de recyclage commence à se faire salement ressentir, tout comme la lassitude éprouvée vis-à-vis de ce ”gros secret” supposé soutenir toute l’intrigue. Les Kingsman sont censés constituer une agence indépendante, c’est bien précisé, mais cela ne veut pas dire isolée. Dans les faits, elle semble jouer le rôle d’un sous-traitant qui tient pourtant toute la place du scénario, ce qui est totalement à côté de la plaque.


Vaughn a commis une erreur en voulant se couper du monde, espérant sans doute reproduire l’exploit qu’une franchise encore plus célèbre avait accompli en cachant la magie derrière les trottoirs londoniens. La ville ne fait pas tout, même si la magie du cinéma l’habite assurément. Le plus dommage, c’est qu’il aurait sûrement suffit qu’il puisât des clins d’œils dans ses inspirations avouées ; ils auraient été facilement jubilatoires.


La phase de l’entraînement des agents est un tremplin modeste au-dessus de cette faiblesse médiale, et lui-même ne s’avère rien de plus que le mol éclaircissement de talents soudain(s) indomptés dans cette jeunesse semi-super-héroïque.


Tout finit par marcher tout seul (et ce n’est pas une bonne chose), à commencer par le méchant – il n’est peut-être pas celui de ”that kind of movie” mais orchestre sans qu’on sache trop comment une sorte de trailer pour Cellulaire (Tod Williams, 2016, y’a L. Jackson aussi dedans, tiens) qui n’a plus tellement d’atouts pour se défendre face à d’autres opus du genre ”je vais tout massacrer”. Le plan machiavélique finit par marcher par pure chance – les auteurs ont tressé les cordes du scénario avec leurs propres cheveux arrachés à mains nues, à mon avis.


La déchéance est cool, heureusement. Elle dépouille l’histoire de sa surpolitisation momentanée, faux pas pratiqué incidemment sur le territoire de Marvel, et s’excuse même de ce trébuchement en transformant une princesse suédoise en Eggsy Bond Girl. On n’en demandait pas tant.


Les Kingsman ont leur Q intégré à l’intellect (rien de vulgaire, je parle juste de feu Desmond Llewelyn) & leurs talents combinés de lutte & d’éloquence finissent par avoir raison de nous dans une conclusion qui sauve les meubles un peu in extremis, résumable à cette quote sublime – et là aussi étonnamment effrontée – tirée de Moonraker (Lewis Gilbert, 1979) ayant marqué la mémoire du régisseur & la mienne :



I think he's attempting re-entry, sir.



Moralité : le Valentine’s Day n’est pas venu pour les amoureux du septième art. Mais surtout, comme le dit si bien son interprète :



Thon of a bitth!



Quantième Art

EowynCwper
5
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le 2 sept. 2019

Critique lue 57 fois

Eowyn Cwper

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