Kirikou incarne ce refus de céder aux superstitions et au silence qui les entoure ; c’est dire qu’il suit un parcours en sens inverse du cheminement éducatif traditionnel, celui qui voit un jeune candide se former par sa confrontation directe à l’existence. Ici c’est le monde qui apprend du nouveau-né, source vive de sagesse dans laquelle Michel Ocelot place toute sa poésie graphique et sonore. Sa franchise, ses questions dérangent et remuent l’ordre établi, raniment dans le cœur des hommes les épines qu’ils pensaient à jamais enfouies en eux. Sur une subtile métaphore du viol se construit le personnage démoniaque de Karaba, sorcière nourrie par la peur et les fictions qu’elle engendre. Nous retrouvons d’ailleurs l’appellation sorcière employée pour désigner à la fois une puissance maléfique, mais également une femme bannie de la société de ses pairs et contrainte de vivre retirée, persécutée par sa propre solitude alors qu’elle passe son temps à persécuter autrui. Dans cette violence cyclique et sans fin, Kirikou apparaît tel un coup de poignard qui viendrait mettre à nu les corps et leurs maux, les guérissant par le seul fait de les déshabiller par la force de sa parole pure. Se tiennent donc, dans le film de Michel Ocelot, non seulement un vibrant hommage aux pouvoirs de la fiction, mais aussi une mise en garde contre l’aveuglement éventuel que pourrait susciter la fiction auprès de son public. Cette seconde dimension étant incarnée par le retournement de situation final qui vient heurter, pour un temps, la zone de confort du spectateur : on y voit le village tout entier se liguer contre les deux amants, ce qui renverse subitement la polarité jusqu’alors adoptée entre bien et mal. Les frontières sont poreuses entre l’un et l’autre, et le long-métrage l’illustre à la perfection. Kirikou et la Sorcière constitue donc un magnifique acte de foi dans l’enfant, seul à même de révéler aux adultes leurs erreurs, de faire choir leurs idoles pour les raccorder à leur humanité fondamentale.