J'ai du mal à comprendre les effets que produisent sur moi les films de Robert Bresson. Il y a d'un côté "Au hasard Balthazar" qui m'a laissé une trace tellement indélébile que je l'ai longtemps considéré comme le seul film méritant la coquette note de 10/10 (avant d'y ajouter "Pierrot le fou", "Opening night", et sûrement bientôt "La maman et la putain" que je dois revoir...), et d'un autre côté le reste de sa filmographie que j'ai pu voir qui a tendance à fortement m'ennuyer... même si j'admet que le langage cinématographique y est toujours plus que maîtrisé (en gros c'est chiant mais bien - paradoxe...).


"L'argent", se classe malheureusement encore dans la seconde catégorie.
Pourtant les sujets qui y sont traités sont très intéressants, voir même essentiels (encore plus aujourd'hui qu'à l'époque, malheureusement) et je me disais qu'avec une réalisation aussi exigeante que celle de Bresson je pouvais peut-être avoir une bonne surprise...


Cela ne m'étonnerait pas que ce film ait eu une grande influence sur la "trilogie de la glaciation" de Michael Haneke.
J'aime beaucoup le cinéma de ce dernier, sauf un film (à mon humble avis bien sûr) : "Le septième continent". Et c'est malheureusement à celui-ci que "L'argent" me fait le plus penser... mais j'y reviendrai...
La manière de se focaliser sur les objets et l'argent plutôt que sur les gens qui les manipulent est assez similaire chez les deux cinéastes. L'homme reste prisonnier d'un "rouage". Il n'en est qu'un acteur secondaire...
Contrairement au "Septième continent", les personnages de "L'argent" croient en une échappatoire : ce "Dieu vivant", qui nous est montré comme une obsession voir même une maladie, et qui ne cesse de les contaminer à chaque fois qu'ils touchent des billets (ironiquement souvent contrefaits) semble être le seul moteur pouvant les conduire à une vie "normale"...
Dans le premier film de Haneke, dix ans plus tard, on a conscience de l'ampleur de la maladie et on s'en débarrasse avec tout ce qu'il y a autours (sauf la télévision, mais ça c'est une autre histoire...). La seule porte de sortie n'en est pas une : le septième continent n'existe pas sinon dans les rêves et peut-être la mort.


Dans les deux films on assiste à une description méticuleuse, quasi clinique, des mecanismes du mal qui rongent les personnages et de leurs descentes aux enfer. On retrouve, à peu de choses près, le même type de cadrage reléguant l'humain au second plan.
Le problème, pour moi, vient justement de cette absence "d'humanité". On a parfois l'impression d'être devant un reportage sur le fonctionnement de machines dans une usine.
Chez Bresson cela saute entre autre aux yeux par le biais du jeu (ou non jeu...) des acteurs qui insuffle la même monotonie que la quasi-absence de dialogue dans "Le septième continent". On a affaire à deux mecaniques implacables ou l'émotion n'a pas, ou peu, de place.
C'est un partis pris bien sûr mais j'ai du mal à accrocher au style "mélodrame industriel"...


Le "problème Bresson" vient de là... Il est impossible de "ressentir" son film. Le questionnement et l'intelligence sont là mais il manque cette petite étincelle qui rendrait le film touchant (pour moi c'est essentiel).
C'est pourtant dommage, "Au hasard Balthazar" relève du même type d'écriture et d'un sujet aussi universel que "L'argent" et pourtant il est boulversant ! Les dialogues récités aussi platement dans les deux films prennent chez "...Balthazar" une toute autre ampleur, presque Rohmerienne.
Mais pourquoi ?
La réponse est très conne : Il y a un âne et de la musique en plus !
Je m'explique. Dans ce film l'âne Balthazar est le fil rouge, on le suit durant toute sa vie. Le naturel ou non du jeu d'acteur ne se pose pas : c'est un animal (même si par la suite Disney inventa "l'over-acting animalier" mais on est pas là pour parler de "Benji la malice" hein ?). Du coup il devient le seul personnage avec qui nous pouvons avoir de l'empathie vu que les autres (humains) nous laissent de marbre de par leur bêtise, leur cruauté et leur discours "récités".
Enfin, le fait que le film soit une parabole (Balthazar = Jesus ? Après tout c'est un film de Bresson !) fait prendre tout son sens à ce "non jeu" des acteurs : l'intérêt n'est pas dans leurs personnages, il réside dans l'ensemble. Ils ne sont finalement que des discours qui parsement le chemin de la vie de Balthazar (Balthazar en lui même n'est pas important, notre identification à lui n'étant pas possible - je le répète, c'est un âne - seul son regard sur un monde qu'il ne comprend pas compte).
L'utilisation de la musique de Schubert créée quand à elle de belles pauses dans le récit. Elle offre des moments poétiques qui permettent de prendre le temps nécessaire pour toucher à l'ampleur de ce que cet âne muet veut nous dire (et de verser une petite larme aussi quand même... surtout à la fin... Là on en prend vraiment plein la gueule niveau émotions !!!).


Haneke clôturera quand à lui sa trilogie de la glaciation par "71 fragments d'une chronologie du hasard" où le même type de cinéma évoluera en une forme assez inattendue. La description du "rouage" sera toujours présente mais l'accent sera plus mis sur l'impossibilité à communiquer (sans faire du sous-Antonioni pour autant) et surtout, sur l'impossibilité à simplement expliquer ce qui se passe vraiment dans ce rouage. Le plan du "ping pong contre la machine" est de ce fait extrêmement emblématique : on garde toujours ce côté mécanique mais face à cela nous avons un être humain, avec ses faiblesses, sa fatigue, sa ténacité, son aptitude à tenir le coup, à subir la machine... On sait d'avance qu'il ne pourra pas sortir vainqueur du duel, cela serait absurde, mais la durée du plan nous fait passer d'une émotion à l'autre et les failles (plus que les qualités) du joueur reste toujours profondément "humaines"


Voilà, j'avais presque oublié que c'était une tentative de critique de "L'argent" et je me retrouve à écrire sur d'autres films... mais les liaisons entre eux me paraissent assez évidentes.
Tout ça pour dire que je trouve ça dommage pour Bresson... si il avait vécu seulement dix ou vingt ans de plus, au delà du fait qu'il aurait été super vieux il aurait peut-être compris et analysé les changements cruciaux qui se sont opérés dans la société et le cinéma pendant les années soixante-dix/quatre-vingt et il aurait sûrement pondu de putains de chefs d'œuvres ! Non ?
Ou bien plus probablement il se serait entêté à faire de bons films destinés à un public de niche où l'on s'ennuie quand même pas mal et qui ne nous touche pas forcément... Comme les films de Hitchcock en gros :)
C'est fort dommage car ces deux là avaient un talent immense.

Créée

le 9 oct. 2016

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