Même s'il s'agit d'un Hitchcock mineur, c'est quand même du Hitchcock, ce qui nous place à un certain niveau. On retrouve cette fluidité, cette qualité d'image que j'appelle "la ligne claire" et qui est déjà si agréable. Les qualités habituelles d'Hitchcock sont peut-être simplement moins marquées que d'habitude, et ses travers habituels un peu plus présents au contraire ?


Commençons par le meilleur : sa dette payée au cinéma muet, avec deux scènes successives où les dialogues sont vus mais pas entendus. Celle chez le fleuriste, puis celle dans l'hôtel où sont logés les dignitaires de Cuba. Hitchcock sollicite le spectateur, à lui de se constituer ses dialogues ! Suggérer plutôt que montrer, c'est toujours la même idée, qui rend son suspens si subtile. Et inciter le spectateur à se montrer actif, à l'image de ses apparitions dans chacun de ses films : idée géniale car elle nous oblige à être attentifs au second plan, pour ne pas le rater ! Ici d'ailleurs, son apparition est savoureuse, il se lève d'un fauteuil roulant et se met à marcher. Allégorie d'une résurrection, au moment où sa carrière était plutôt en berne ?


Côté qualités, il y a aussi quelques idées très poétiques :
- la scène, connue, où Juanita s'effondre dans sa robe violette qui fait l'effet d'une mare de peinture ;
- le plan sur les mains de Rico qui se plantent sur ses genoux après la révélation de la trahison de Juanita, exprimant magnifiquement sa détermination ;
- l'idée des oiseaux volant le pique-nique pour signaler au soldat cubain que quelque chose cloche (référence claire aux Oiseaux, d'autant que ce sont là aussi des seagulls) ;
- les raccords musique, auxquels il faut être attentif chez Hitchcock (cf. Fenêtre sur cour) : par exemple, la fanfare du défilé qui se poursuit alors que l'espion russe sort dans la rue à Copenhague, pour exprimer qu'il sera suivi par les Russes.


Côté faiblesses, il y a d'abord l'interprétation : il semble qu'Hitchcock ait voulu pour la première fois se passer de stars - ce fut peut-être aussi subi, Sean Connery ayant décliné, semble-t-il à cause du succès modeste du Rideau déchiré... On rêve d'un James Stewart ou d'un Cary Grant à la place de l'assez médiocre Stafford. Toutes les femmes ou presque sont à l'avenant, seuls John Forsythe, pur produit Hitchcockien, et les Français Subor-Noiret-Piccoli relèvent le niveau, mais ces derniers s'expriment en anglais...


Certaines scènes versent dans le convenu (les baisers de Juanita et de Devereaux, les gadgets façon James Bond du pauvre) ou dans le pathos jusqu'au ridicule (la scène que fait Nicole à son mari, et plus encore les adieux de Juanita et de Devereaux) . Mais les scènes d'amour, selon moi, n'ont jamais été le point fort d'Hitchcock, plus à son aise dans la perversité que dans les bons sentiments.


Surtout, le film s'apparente à un pur divertissement, là où ses grands films - Vertigo, Fenêtre sur Cour, Psychose, les Oiseaux... - proposent un sens caché, une seconde lecture plus profonde. Ce qui en fait un Hitchcock mineur. C'est-à-dire quand même un très bon film !


Un dernier mot sur le titre français, assez malheureux (je n'ai guère ressenti cette impression d'étau), choisi je pense uniquement pour éviter la confusion avec le Topaze, de Marcel Pagnol. Dommage.

Jduvi
7
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le 26 févr. 2018

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Jduvi

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