L'Horloger de Saint-Paul de 1974 est le tout premier long métrage de Bertrand Tavernier qui pour l'occasion recevra le prix Louis Delluc . Le réalisateur adapte visiblement très librement un roman de 1954 de Georges Simenon qui se déroule dans les Etats-Unis des années 50 dont il relocalise ici l'action de manière contemporaine à son tournage et dans sa ville natale de Lyon. Quant à l'aspect polar de l'histoire ce n'est visiblement pas du tout ce qui intéresse en premier lieue son réalisateur.
L'Horloger de Saint Paul c'est l'histoire de Michel (Philippe Noiret) un petit artisan tranquille et bon vivant de province. Sans histoires, l'homme apprend un jour par la police que son fils dont il n'a plus trop de nouvelles est accusé de meurtre.
Contrairement à ce que prétend le résumé du film disponible sur Netflix, il n'est aucunement question ici de l'histoire d'un père qui décide de mener sa propre enquête après l'annonce que son fils serait suspect dans une affaire de meurtre. Et à dire vrai il n-y a pas vraiment d'enquête dans L'Horloger de Saint Paul pas plus du côté de la police d'ailleurs que de celui de ce bon père de famille. Ce récit criminel et ce fait divers n'est qu'une vague toile de fond pour plonger un homme face à son époque et lui donner l'envie au propre comme au figuré de retrouver son fils. Le personnage de Michel sobrement interprété par un Philippe Noiret impeccable est d'emblée montré comme un bon vivant, un homme droit, simple et honnête qui traverse sa vie avec un certain détachement nonchalant sur toutes les choses. Ce crime et cette enquête vont confronter soudainement l'home endormi dans un certain conformisme aux douces aspérités de cette France de 1974 et l'obliger à regarder avec l'œil du témoin ces choses auxquelles par habitude il n'aurait pas forcément prêté attention. Bertrand Tavernier dresse alors par petite touche le portrait d'une France engoncé dans ses idéaux de droite Pompidolienne, la France de la peine de mort, des basanés et des chevelus que l'on cogne dans les commissariats, des journalistes vautours, des milices patronales, des relents d'Algérie, des fantômes des dénonciations massives de la seconde guerre mondiale, des bons français qui s'émeuvent bien plus d'une voiture brulée que de son propriétaire assassiné ou qui posent pour la photographie devant une scène de crime. Il y-a un petit peu de Boisset dans L'Horloger de Saint Paul , en moins vindicatif peut être, en beaucoup plus subtil sûrement, mais le portrait est acide et le constat est amère; et cette histoire de crime ne sera au bout du compte qu'un révélateur pour ce père de famille qui se (re)découvrira de plus en plus solidaire de son fils à mesure qu'il se frotte aux contradictions du monde qui l'entoure. Cet homme sans histoire finira par se dresser face à la société en se déclarant totalement solidaire d'un fils avec lequel il finira par pleinement renouer le dialogue même si c'est à travers les tristes grilles d'un parloir de prison; l'homme si sage finira même par se se remémorer avec jubilation sa propre rébellion à l'ordre lorsque dans sa jeunesse il avait giflé un général.
Si Phillipe Noiret est formidable comme souvent il faut aussi saluer la performance de Jean Rochefort qui incarne avec délice et un un flegme très britannique le flic chargé de l'enquête. Figure de l'ordre et des institutions le personnage du commissaire Guilboud va tenter de lié une étrange amitié un peu maladroite et une complicité parfois pesante avec ce père de famille qui va d'abord être avenant avec ce représentant de l'ordre mais qui finira tout de même par reprendre toute son indépendance d'esprit en le renvoyant à sa simple fonction. Absolument toutes les scènes entre Noiret et Rocherfort sont des petites merveilles de cinéma, de jeux d'acteurs avec des dialogues parfaitement ciselés. Et puis un petit mot pour saluer la présence de ce très bon et trop rare comédien qu'est Jacques Denis dans le rôle du fidèle ami de Michel. L'autre personnage très important qu'il ne faut pas oublier est la ville de Lyon que Bertrand Tavernier prend un évident plaisir à filmer dans toute sa diversité notamment ses petites ruelles pittoresques.
Il faut remettre les pendules à l'heure, L'Horloger de Saint Paul n'est absolument pas un polar mais cela reste un très joli film sur un homme qui répare des horloges et découvre d'un coup le temps présent tout en cherchant à rattraper un passé pas encore totalement perdu.