Pas si simple pour un passif pacifiste d'éviter un parricide

J'adorais ce film et je l'ai revu récemment: j'ai été déçu, par le rythme et par la façon de filmer. On est loin de Vertigo et ses effets de style. Ici nous sommes dans le cinéma classique, en noir et blanc, et le but du film n'est pas de nous entraîner dans un monde onirique ou dans la folie d'un personnage, mais d'avoir peur pour le héros.


Celui-ci n'est pas très charismatique: tennisman, en phase de divorce, bientôt marié à la fille d'un sénateur, il a tout pour lui. Et le destin en décidera autrement, en la personne de Bruno Anthony, typique pervers narcissique, qui lui propose un deal: tu tues mon père, je tue ta femme infidèle (et ça facilite les démarches de divorce).
Le héros, Guy Haines, est trop gentil d'une part, et surtout ne comprend pas tout de suite qu'il a affaire à un fou furieux: il lui dit en le quittant qu'il est d'accord avec sa théorie d'inversion des crimes (criss cross, en anglais) permettant d'inverser aussi les mobiles, et donc de rendre impossible à la police de retrouver un coupable sans mobile.


Très vite Bruno, bien joué par un acteur tout aussi inconnu que celui jouant Guy Haines, tue la femme volage de Guy. Bruno correspond à l'image que l'on se faisait alors des homosexuels aux Etats-Unis: il vit chez sa maman, déteste son père, projette un parricide.
Je peine à trouver beaucoup de sens dans ce film si ce n'est le suspense. Je peux m'arrêter cependant sur certaines trouvailles: le manège qui emporte les héros à la fin et qui est comme la folie de Bruno Anthony. On peut aussi se demander si ce qui arrive n'est pas en partie lié à la personnalité non pas de Bruno, mais de Guy Haines.


Guy Haines ne prend pas Bruno Anthony au sérieux et c'est là son problème: il ne prend pas le mal au sérieux. On peut donc imaginer qu'il n'a pas non plus vu le mal chez sa femme, qui a tout l'air d'une manipulatrice. Trop naïf, Haines subit le monde plus qu'il le gère: il subit aussi son beau-père sénateur qui lui donne des ordres, et subit le vieil universitaire ivre dans le train alors qu'il veut lire. Son manque de personnalité, d'affirmation de soi, est à l'origine de ses problèmes, et contrairement à ce que l'on pourrait penser, ce qui arrive est aussi sa faute.


Le film nous donne une piste ici: dans la dernière partie du film, pendant le match de tennis, le speaker nous informe que d'habitude Guy Haines joue passivement, il a habitué son public à l'attentisme. Devant la nécessite d'aller plus vite, Haines va vraiment jouer au tennis.
Et cela, cette attitude détachée et propre aux tièdes que Dieu vomit, Haines l'a dès le départ dans le train où il rencontre Anthony: quand celui-ci dit admirer sa profession, tennisman, Haines dit clairement que cela n'a pas d'importance.
On sent comme de l'agacement chez Hitchcock pour le personnage de Haines, qui va payer cher son manque d'implication dans sa vie: incapable de remettre sa femme à sa place, c'est un autre qui va la tuer pour lui. Incapable de prendre une place parmi la haute société de son beau-père, c'est Anthony qui, charismatique, raconte des histoires drôles aux dames endimanchées.
En quelque sorte Anthony vient secouer la passivité de Haines.
Haines prendra une décision: celle d'aller voir le père d'Anthony en pleine nuit. Mais ensuite ce sera la petite amie de Haines qui ira cette fois voir sa mère.
C'est d'ailleurs encore cette petite amie qui organisera la fuite de Haines suite au match de tennis. Et arrivé sur place au parc d'attraction, Haines n'aura rien à faire si ce n'est suivre Bruno: au fond c'est ce qu'il fait depuis le début, suivre bêtement Anthony dans ses stupidités, sans jamais hausser le ton et lui intimer l'ordre de se taire. Quand il le fait, c'est trop tard, et il ne l'assume pas: après l'avoir frappé, il en a honte, et dit en anglais: "Come on, put yourself together", bref remettez-vous en, et l'aide même à remettre son noeud papillon!


Même si Haines montre peu d'émotions dans le film, on peut imaginer que lui aussi, comme le spectateur, est tombé sous le charme de Bruno Anthony. Et qu'Anthony va lui permettre de devenir un homme, qui fait des choix. Même si à la fin du film, c'est un cheval de bois qui tue Anthony, et pas Haines, qui restera un petit garçon incapable d'agir, balloté entre Anthony, sa femme, puis sa petite amie.

Lanster
7
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le 30 mai 2019

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