1. Un idéal de divertissement


L’Inspecteur Harry est avant tout armé de la qualité de base de tout bon film qui se respecte : ne jamais ennuyer son spectateur. Entre la traque de Scorpion, son partenariat avec le jeune inspecteur Gonzalez et ses prises de bec avec la hiérarchie policière, Harry Callahan n’a pas le temps de souffler et le spectateur non plus.


Si on ajoute la verve et la répartie inimitable que nous offre notre inspecteur lors de ses nombreux dialogues, on obtient un idéal de divertissement, dosant avec brio l’action et l’humour :


Harry Callahan : Quand je vois un adulte du sexe masculin courir derrière une femelle avec l'intention évidente de la violer, je le descends avant. C'est ma politique.
Le Maire : L'intention ? Elle restait à établir.
Harry Callahan : Quand un gars à poil court derrière une fille la queue en l'air et un couteau de boucher à la main, c'est drôle... J'ai peine à croire qu'il est en train de quêter pour la Croix-Rouge.


Eastwood dévore l’écran de sa présence et de son charisme, incarnant la représentation ultime du héros d’action viril et droit dans ses bottes. Comme pour son rôle de cow-boy dans la trilogie des dollars de Sergio Leone, il incarne une icône cinématographique qui s’inscrit durablement dans la rétine et l’imaginaire du spectateur.


Si on y ajoute une ambiance musicale savoureuse signée Lalo Schifrin, croisement entre jazz et funk, on obtient le prototype du polar « cool » qui ne lâche pas son spectateur jusqu’au générique final.


2. Cow-boy perdu dans la modernité


Sous ses savoureux atours de polar nerveux et rythmé, l’Inspecteur Harry nous décrit un quotidien glauque et pessimiste, où des autorités publiques pusillanimes négocient vainement avec un assassin sans états d’âme.


Qualifié de fasciste à l’époque de sa sortie, l’Inspecteur Harry dévoile les aspects les plus sombres des grands ensembles urbains de l’Amérique des années 70, dans lesquels le diptyque chômage/violence s’épanouit en produisant à la chaîne des désaxés comme Scorpion. Les seuls remparts à cette anomie semblent être des personnages comme Harry.


Cow-boy perdu dans une société qu’il juge trop libérale, Harry Callahan n’a que faire du droit des accusés. Mal payé et enchaînant les tâches les plus ingrates (d’où son surnom de « Dirty Harry », traduit en français par « Sale Harry » ou « Harry le charognard »), Harry est lassé d’un monde où chaque article de loi doit être respecté lors de l’arrestation d’un coupable, quelle que soit la gravité de son crime.


Son individualisme et son irrespect des hiérarchies invalident la qualification de fasciste. Son instinct de survie et ses méthodes expéditives l’écartent de la civilisation moderne, mais le rapprochent de Scorpion. Ces deux meilleurs ennemis auraient eu leur place au Far West, avec le revolver comme seule force de loi, loin des normes et des codes imposés par la modernité du 20e siècle.


Est-ce un hasard si leur confrontation finale a lieu dans l’aridité d’un terrain vague, loin des buildings et des automobiles de San Francisco ?


3. Film séminal


Inspiré par l’affaire du Zodiac, l’Inspecteur Harry est devenu un modèle pour le polar et le cinéma d’action des dernières décennies, tant sur les choix narratifs que sur le traitement de son personnage principal.


La séquence où Scorpion joue avec notre inspecteur, en le faisant courir pour communiquer avec lui par cabine téléphonique, est reprise dans Une Journée en Enfer de John McTiernan, les errances nocturnes de Harry Callahan ressemblent à celles de Travis Bickle du Taxi Driver de Martin Scorsese, le nombre de courses-poursuites entre nos deux antagonistes annoncent le rythme non-stop du Traqué de William Friedkin…


Que ce soit avec le personnage de John Mclane dans la série des Die Hard, ceux joués par Arnold Schwarzenegger et Sylvester Stallone dans leurs films d’action des années 80, jusqu’au Martin Riggs de l’Arme Fatale, le personnage de flic dur à cuire qu’incarne Clint Eastwood a été assimilé et réinterprété par de multiples films et autant d’acteurs.


De même, les dialogues aux punchlines cinglantes sont devenues une norme pour le cinéma d’action hollywoodien, quelle que soit la qualité de ces dernières.


Dans le sillage des années 80, les personnages qu’incarnent des acteurs de seconde zone, comme Steven Seagal ou Chuck Norris, ne sont que des démarcations de « Harry le Charognard », dont ils usent et abusent jusqu’à la caricature. Dans le rayon dérision, le personnage de Ryô Saeba du manga City Hunter détourne l'aspect badass de Harry.


Bien qu’adoptant ses postures et son armement, Ryô Saeba s’illustre par son côté clownesque, tout en évoluant dans un univers aussi noir que celui de Harry. L’aspect comique du personnage est également tempéré par des séquences dramatiques, liées au passé trouble d’un personnage moins lisse que sa popularité ne le laisse penser.


Sortes d’anarchistes de droite, s’attirant les faveurs du public par leur inlassable lutte contre le crime, mais aussi par leur humour et leur mépris pour toute forme d’autorité, ces justiciers modernes n’en font qu’à leur tête et font peu de cas de la moralité quant au sort des coupables.


Leur seule justification réside dans leur badge de policier.


Polar mené tambour battant, mais non dénué de réflexion, à la fois exaltant et sombre, l’Inspecteur Harry est devenu un classique du polar américain.

Zazak
10
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Créée

le 30 août 2021

Critique lue 296 fois

Isaac Tarek

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